France

Faut-il construire des maisons en usine pour freiner la crise du logement ?

C’est un immense hangar qui a longtemps accueilli les petites mains de Citroën. Une époque où l’industrie automobile française était à son apogée et tournait à plein régime pour fournir une voiture à tous les habitants de ce pays. Passé sous pavillon PSA puis Stellantis, ce grand hall a longtemps abrité un atelier concevant des prototypes des deux marques françaises. Désormais, ce ne sont plus des voitures mais des logements que l’usine de Chartres-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) voit passer chaque jour. Une usine pour fabriquer des maisons ? Oui ! Et des appartements aussi. Une production « à la chaîne » tentée par le promoteur immobilier Réalités comme réponse à la crise du logement. Alors que les prix grimpent en flèche, que le foncier se raréfie et que le coût des matériaux flambe, la production de logements hors site a de nombreux arguments. Certains osent même dire que le secteur de la construction y joue sa survie.

« On est quasiment certains qu’il n’y aura plus de main-d’œuvre sur les chantiers dans une dizaine d’années. Alors on fera comment pour avancer ? ». Bertrand Favre est le nouveau dirigeant de la société Mayers, nouveau nom de Réalités Build Tech, filière bas carbone du constructeur immobilier. Du haut de ses 40 ans, le jeune patron se rêve comme l’un des leaders de la construction « hors site » en France. Son entreprise, qui fait déjà travailler 70 personnes, s’est spécialisée dans la conception de logements modulaires construits à la chaîne dans son usine de Rennes. A la manière d’un puzzle, les pièces sont ensuite assemblées sur site pour devenir des maisons d’habitation ou même des immeubles de plusieurs étages. Ce sera le cas de la future résidence Constellation et ses 522 logements, qui seront aménagés pour la Rennes School of Business dans le but de loger les nombreux étudiants étrangers de l’école de commerce.

Un délai de fabrication « 20 à 30 % plus rapide »

Premier avantage ? La rapidité. « On peut diminuer de 20 à 30 % le délai de fabrication. En usine, on peut massifier, organiser. On est au sec, à l’abri des intempéries, on n’a pas à se soucier des temps de séchage par exemple », explique Quentin Goudet, directeur de Mayers. Dans son hangar de la Janais, ses compagnons sont déjà capables de sortir trois modules de 18 m³ par jour. « En construction traditionnelle, ça nous prendrait des semaines. Et on peut rêver plus ! On doit s’imprégner du modèle de l’industrie automobile », avance le dirigeant. A Angers, le futur centre de l’enfance géré par Arpeje devrait être façonné par Réalités.

Le futur du centre de l'enfance d'Arpeje 49 sera conçu à 80% en usine avant d'être assemblé sur site.
Le futur du centre de l’enfance d’Arpeje 49 sera conçu à 80% en usine avant d’être assemblé sur site. – Réalités

Face à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur du bâtiment, la solution « hors site » offre en plus des conditions de travail avantageuses, loin de « la boue et du bruit » des chantiers, souligne-t-il. « On a beaucoup investi dans les appareils de manutention pour éviter le port de charges lourdes ». Comme chez le voisin Stellantis, les ouvriers de Mayers travaillent sous des portiques et avec des rails qui font avancer les murs et les cloisons. « On peut former nos salariés en interne, leur proposer un cadre de travail plus apaisé ». Yoann Choin-Joubert, fondateur du groupe Réalités, ne cache pas non plus son envie de faire appel à la robotique et l’intelligence artificielle pour concevoir ses logements modulaires. « Ce sera la seule solution face à la pénurie de main-d’œuvre », assure-t-il.

L'ancien hall de PSA a été reconverti en une vaste usine de fabrication de maison à côté de Rennes.
L’ancien hall de PSA a été reconverti en une vaste usine de fabrication de maison à côté de Rennes. – Réalités

La massification de la production doit surtout permettre d’abaisser le coût de construction dans un contexte de flambée des cours de matériaux. Avec son usine, la société Mayers espère sortir des logements à « moins de 2.000 euros le mètre carré ». Facile pour une maison mais plus compliqué quand il faut les empiler pour du logement collectif. L’entreprise devra d’abord trouver assez de clients pour intensifier sa production et gagner en productivité. Un défi de taille pour un secteur habitué aux arrêts incessants absolument incompatibles avec le travail à la chaîne. « Une usine doit travailler en flux constants. Il faudra nous adapter. Les promoteurs aussi d’ailleurs, car ils devront apprendre à payer différemment. Ils ne pourront plus attendre la livraison », prévient Yoann Choin-Joubert.

Déjà bien implanté pour les maisons individuelles (notamment les tiny houses), le concept d’habitat modulaire est particulièrement scruté par les collectivités locales. Malgré une politique du logement saluée par tous, la métropole rennaise voit sa liste de personnes en attente d’un logement social s’allonger. Un peu plus de 26.000 personnes patientent actuellement, alors qu’elles n’étaient que 16.000 en 2016. Les raisons sont multiples mais peuvent se résumer ainsi : moins nombreux, les programmes immobiliers sont désormais plus longs à sortir de terre et plus chers, excluant de facto les plus modestes. « Les gens n’ont plus la capacité de se loger, c’est inquiétant. Notre rôle en tant que collectivité, c’est d’offrir des solutions rapides. L’habitat modulaire peut nous permettre d’y répondre pour occuper des délaissés fonciers », détaille Nathalie Demeslay, directrice de l’habitat à Rennes Métropole.

Pour mettre en œuvre cet « urbanisme transitoire », la collectivité affirme avoir besoin de logements « déplaçables » à travers une solution appelée « sans foncier fixe ». Un concept qui permet de loger vite et bien, en attendant que le schéma de construction plus traditionnel se mette en règle : appel d’offres, enquêtes publiques, concours d’architectes… Cette solution de logement mobile offre aussi l’avantage de répondre à la crise du logement dans les zones les plus touristiques. Dans ces secteurs, les logements sont devenus inaccessibles, empêchant le recrutement de travailleurs saisonniers. Le modulaire peut là aussi y répondre.