Fatigué moralement, ce maire veut « dormir en paix » et « tout envoyer bouler »
«Je ne veux même plus en parler. C’est du passé », a rapidement répondu à 20 Minutes l’ancien maire d’un village du Gers. Ce dernier a rendu son écharpe au bout de douze ans et assure désormais aller « mieux ». « Je n’ai pas envie de me replonger dans tout ça », nous assure-t-il simplement, balayant toute envie de s’éterniser sur son gros coup de blues. Selon une étude du Cevipof et de l’Association des maires de France, 1.300 maires ont démissionné depuis juin 2020, soit 450 par an contre 350 par an au cours de la dernière mandature. Aujourd’hui, l’épuisement physique ou mental se fait entendre.
« Ça fait trente ans que j’exerce la fonction. Ce qui me surprend, c’est l’évolution de nos conditions de travail en trente ans : les exigences, les contraintes. Ce n’est plus possible », témoigne de son côté Jacques*, maire d’une petite commune du Tarn. A 20 Minutes, ce dernier tente de donner une explication à cette hausse des démissions des maires. Jacques, comme 6 % des édiles interrogés en 2024, ont « souvent envisagé » de tout plaquer. 39 % l’ont « envisagé déjà quelques fois ». « Est-ce que je continue à me battre ou j’abandonne ? J’ai envie de tout envoyer bouler mais si je le fais, que va devenir ma commune ? », se questionne celui qui est agriculteur, jongle avec ses deux fonctions et laisse ses indemnités aux finances du village.
« On se bat contre le vent »
Ce village justement, ce sont un peu plus de 110 âmes, dans une campagne bien loin des métropoles et des décisions politiques. « Ça fait quinze ans que j’attends la réfection d’une route, des passages de bus scolaires. On doit se battre avec des communautés de communes qui n’intègrent jamais les bourgs comme les miens. On se bat contre le vent avec les mêmes contraintes que les grandes villes mais sans moyens. » Résultat, Jacques se dit « fatigué physiquement et moralement » et se voit prendre « un somnifère tous les soirs pour dormir en paix ».
Comme Jacques, beaucoup de maires estiment, de manière massive (83 %), que leur mandat est usant pour la santé. Selon l’étude de l’AMF, cette usure se traduit par des troubles du sommeil (86 %), des coups de fatigue (91 %) ou des moments de « lassitude » (90 %). Des états qui deviennent permanents pour un quart à un tiers des édiles, 40,1 % estimant également être sous pression et 53,5 % déclarant se sentir obligés de cacher leurs émotions.
« Je dois prendre soin de moi »
Camille Pouponneau a, elle, annoncé mi-octobre dans un long thread posté sur X sa démission. L’ex-maire de Pibrac, commune de la Haute-Garonne de 8.000 habitants, y explique que la dégradation de sa santé mentale, entraînant celle, progressive, de sa santé physique. Ce qui ne lui permettait plus d’assurer ses fonctions : « je suis arrivée au bout de ce que je pouvais endurer. Après dix ans à me consacrer à des mandats électifs au service des autres et du bien commun, je dois prendre soin de moi. »
Si Camille Pouponneau a passé un cap, contrairement à Jacques, les deux édiles font le même constat. « Malheureusement, aujourd’hui, je me sens simple gestionnaire sans aucune marge de manœuvre, noyée sous le poids de règles étatiques rigides et de décisions intercommunales sur lesquelles il est difficile de peser, perdant tout le sens de mon engagement », écrit l’ancienne maire de Pibrac qui dénonce « un service public en miettes faute de moyens suffisants ». « L’Etat privilégie les grosses communes au détriment des nôtres. On a plus aucun poids », renchérit le maire du Tarn. Comme un écho à la demande du gouvernement qui a réclamé cinq milliards d’économies aux collectivités locales pour le budget 2025.
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« Avec toutes ces économies, les décisions prises au-dessus, on cherche à faire disparaître les petites communes. Si on meurt, il n’y aurait plus autant de maires à payer, de secrétaires à payer… Un gain pour le gouvernement mais on va délaisser ces zones, ces routes, ces habitants », souffle l’agriculteur. Et c’est à lui que reviendra le mot de la fin : « à une époque, travailler tous les jours, les soirs, ne pas avoir de vacances avait un sens, on avançait, aujourd’hui, on nous prend pour des bénévoles au service de l’Etat et pas des habitants. Il ne faut pas s’étonner après qu’on jette l’éponge. »
*Le prénom a été modifié.