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Faillite de la banque SVB : « On ne sait pas si les mesures empêcheront la panique de se propager »

« Retire ton argent tout de suite ! » Chez les entrepreneurs californiens, la panique s’est propagée en quelques heures, jeudi dernier. Dans le rouge à cause d’investissements pénalisés par la hausse des taux d’intérêt, Silicon Valley Bank (SVB), la banque des start-up, a fait face à une vague de retraits sans précédent. Alors qu’elle ne parvenait plus à y répondre, la 16e banque américaine a été fermée par les autorités. C’est la deuxième plus grosse faillite d’une banque de détail aux Etats-Unis, et la plus importante depuis la crise financière de 2008.

Deux autres établissements, eux exposés au crash des cryptos, ont sombré, Signature Bank et Silvergate. Et lundi, les actions de deux banques de l’ouest américain, First Republic et Western Alliance, ont plongé de 60 et 47 %. Pour éviter une contagion au reste du secteur, la Fed, le Trésor et l’Agence de garantie des dépôts (FDIC) ont pris des mesures exceptionnelles pour garantir l’intégralité des dépôts de SVB. Même si Bruno Le Maire a appelé au calme et assuré que le système français n’était pas exposé – un refrain repris partout en Europe – la panique « n’est souvent pas rationnelle », avertit David Wessel, directeur du Hutchins center sur la politique monétaire et fiscale à la Brookings Institution, et auteur de In Fed we trust.

Pourquoi SVB s’est effondrée aussi vite ?

SVB a grandi à toute vitesse. Elle a attiré d’énormes dépôts, venant notamment de start-up et d’autres firmes de la Silicon Valley. Les banques ne laissent pas cet argent dormir, elles espèrent gagner un peu plus via des investissements que ce que les dépôts leur coûtent. SVB a beaucoup investi dans des bonds du Trésor et des obligations garanties par l’Etat. Cela a bien fonctionné jusqu’à ce que les taux d’intérêt soient relevés brutalement, ce qui a drastiquement réduit la valeur de ses bonds sur les marchés (comparativement aux plus récents). Cela n’aurait pas posé de problème si SVB les avaient gardés jusqu’à maturité – ce sont des investissements sûrs – mais SVB ne pouvait pas attendre : face aux retraits, elle a dû vendre d’autres obligations à perte. Cela a déclenché un bank run (panique bancaire) classique.

Un bank run aux Etats-Unis, en 2023, comment est-ce possible ?

Les bank runs appartiennent pour l’essentiel au passé aux Etats-Unis, car des assurances auprès de l’Agence de garantie des dépôts (FDIC) couvrent jusqu’à 250.000 dollars par compte bancaire, ce qui est assez pour le commun des mortels. Mais presque tous les clients de SVB avaient bien plus que ça. Ils avaient donc tout intérêt à être les premiers à retirer leur argent.

Est-ce de la malchance ou les dirigeants de SVB ont-ils fauté ?

SVB a enfreint les deux principes fondamentaux de l’industrie bancaire : elle n’a pas diversifié la source de ses fonds ni de ses investissements. Elle a pris de gros risques liés aux taux sans couvrir ses positions face à une possible hausse. Ses superviseurs, la réserve fédérale et l’Etat Californie, n’ont rien fait, à ce que l’on sache, pour stopper cette folie alors même qu’il y avait de nombreux signaux d’alarme. La croissance rapide d’une banque, notamment, est souvent un signe qu’un établissement prend des raccourcis.

SVB avait 200 milliards d’actifs pour 175 milliards de dépôts, et plus de 90 % pas assurés. Est-ce normal ?

C’est complètement atypique et un risque idiot.

Quelles mesures les autorités ont-elles prises ?

Le Trésor, la Fed et la FDIC ont invoqué le risque « systémique » et annoncé que tous les déposants récupéreraient leur argent, même s’ils avaient des centaines de millions de dollars de plus que la limite des dépôts garantis. La Fed va également aider les banques qui possèdent des obligations dont la valeur a chuté à cause des taux. Ce n’est pas un sauvetage (comme en 2008). Les investisseurs de SVB ne seront pas indemnisés.

Pourquoi couvrir à 100 % les start-up et investisseurs fortunés qui ont pris un risque avec des fonds non garantis ?

Les autorités ont pesé le pour et le contre et décidé que pénaliser les déposants, qui bénéficient ici d’une assurance pour laquelle ils n’ont pas payée, aurait risqué de provoquer une vague de retraits dans d’autres banques et de déstabiliser l’ensemble du système financier.

Selon l’administration Biden, les contribuables ne mettront pas la main à la poche, est-ce exact ?

Si SVB n’a pas assez d’actifs pour payer tous les déposants 100 cents par dollar, alors le fonds d’assurance de la FDIC en prendrait un coup. Si nécessaire, le fonds pourrait imposer une contribution à toutes les banques du pays. Et en général, elles répercutent ce coût sur leurs clients. Techniquement, les contribuables ne paieront pas via l’impôt, mais ils le feront sans doute par des frais bancaires plus élevés ou une rémunération plus basse sur leur compte épargne.

Quels sont les risques de contagion au reste des Etats-Unis et à la planète financière mondiale ?

Il y avait un risque élevé de contagion, et on ne sait pas encore si les mesures prises seront suffisantes pour empêcher la panique de se propager à d’autres banques. Les bank runs sont parfois un comportement rationnel de la part de certains individus, mais quand tous les clients se précipitent dans leur propre intérêt, tout le monde en pâtit. Et la panique n’est souvent pas rationnelle. Les institutions et les investisseurs peuvent avoir peur et commencer à vendre. Je ne vois pas comment quiconque peut être certain que cette tempête restera isolée à quelques régions américaines et que le ciel se dégagera rapidement. On ne le sait juste pas.