France

Face à Donald Trump, un boycott des produits américains est-il possible en France ?

En politique, il faut taper là où ça fait mal, et c’est parfois dans les bourses. Donald Trump a appuyé sur l’accélérateur ces derniers jours, en revenant sur ses engagements diplomatiques et militaires et en menaçant l’Union européenne de sanctions économiques. Comment riposter ? Au Salon de l’Agriculture jeudi dernier, François Hollande appelait à le frapper au portefeuille. Mais certains consommateurs veulent aller plus loin et appellent à boycotter plus globalement les produits et services américains. Et le mouvement tenter de se faire une place en France.

Dans l’Hexagone donc, l’initiative part d’un groupe Facebook, « BOYCOTT USA : Achetez Français ! », lancé par Edouard Roussez, qui vit dans le nord du pays. Trois jours après son lancement, celui-ci se réjouit de voir qu’il compte presque 800 membres. « Préférez les piles VARTA (allemand) à Energizer et Duracell (USA) », « Luttons ensemble pour un monde juste et démocratique »… Dans cet espace, on se motive, et on s’échange des comparatifs entre les produits américains et européens.

« J’étais en état de choc, fallait que je passe à l’action »

Si le clash Zelensky-Trump de vendredi dernier a agi comme un électrochoc, Edouard Roussez avait déjà des prédispositions pour ce boycott. « Je suis agriculteur et producteur de houblon. Le houblon utilisé en France est massivement importé des Etats-Unis, donc je suis sensibilisé à la question, raconte-t-il. Mais j’étais en état de choc après ce qu’il s’est passé. Et je ne pouvais pas rester comme ça, il fallait que je passe à l’action. »

Pour cela, Edouard Roussez s’inspire de mouvements similaires lancés dans plusieurs autres pays. Au Canada, des consommateurs refusent d’acheter des produits américains depuis que Donald Trump a menacé d’annexer le pays et d’en faire le 51e État américain. Même aux Etats-Unis, certains manifestent et appellent au boycott de Tesla, la marque automobile d’Elon Musk, le plus proche conseiller du président.

Dans les pays nordiques, comme la Suède et le Danemark, l’initiative prend aussi forme. La société Haltbakk Bunkers, opératrice de ports en Norvège, a indiqué samedi dans un communiqué qu’elle cessait « immédiatement » de ravitailler les bateaux de la marine américaine, en réaction au « plus grand merdier jamais présenté en direct à la télévision ». C’était quelques heures après l’échange sidérant entre Donald Trump et Zelensky à la Maison-Blanche. « Je pense qu’en France, le terreau est assez fertile à cette idée d’autonomie vis-à-vis des Etats-Unis », défend Edouard Roussez.

« Toutes les marques, c’est trop dur »

Pourtant, il est encore difficile de se projeter dans un quotidien sans les Etats-Unis. Geoffroy, architecte, est relativement ouvert à l’idée. « Pour les produits non-essentiels, oui, répond ce trentenaire. Cela me ferait réfléchir à deux fois à des achats un peu impulsifs. A une époque j’aurais bien acheté une Tesla, aujourd’hui, ce serait hors de question. » Mais face à l’omniprésence des services américains, tous ne sont pas aussi enthousiastes. « Je ne boycotterai pas forcément tout et n’importe quoi. Ce serait un mix entre mes convictions et la mauvaise foi liée à mon confort personnel », reconnaît Thomas, qui habite près d’Orléans. « Ça dépend des marques et à quel point elles sont impliquées dans les controverses, estime pour sa part Nina, la vingtaine. Mais ce n’est pas l’actu Trump-Zelensky qui va me pousser à boycotter toutes les marques américaines, c’est trop dur de s’en passer, honnêtement », reconnaît la Parisienne.

Une retenue partagée par les analystes. En 2023, selon une note de la Direction générale du trésor, les importations américaines en France représentaient 51,8 milliards d’euros, ce qui en faisait le cinquième fournisseur de l’Hexagone. « Il est difficile d’imaginer une mobilisation massive contre de nombreux produits présents dans nos supermarchés, abonde Pascal de Lima, chef économiste Business Knowledge Management Consulting. De plus, les alternatives viables dans les domaines de la technologie et de l’alimentation n’existent pas encore. »

La question du pouvoir d’achat

Et il y a une autre contrainte : le pouvoir d’achat. « Ces marques ne se sont pas imposées uniquement en raison de leur origine américaine, mais parce qu’elles répondent aux besoins des consommateurs », complète l’expert. Et de citer l’exemple des ménagers ou d’hygiène du groupe Procter & Gamble. « Remplacer ces géants implique soit de payer plus cher, soit de revoir nos habitudes de consommation. » Sans parler des secteurs plus éloignés du quotidien mais tout aussi stratégiques : défense, pharmaceutique ou agriculture.

Edouard Roussez a conscience que la tâche n’est pas simple – il le dit lui-même : il organise son boycott sur Facebook, une plateforme… américaine. Mais il a pensé à deux solutions. La première : « Mettre en avant des solutions françaises et européennes. » Dans la même veine, un projet communautaire, Buy European Made, recense par exemple des alternatives aux produits américains. La seconde : concentrer les efforts, notamment sur les entreprises de services qui emploient peu de gens en Europe, comme AirBnB, et celles directement associées au gouvernement de Trump, comme Tesla. Il pourrait déjà y avoir les prémices d’un effet : en février, les ventes de la marque automobile en Europe ont baissé de presque deux tiers.