France

« Evacuez à pied vers l’intérieur des terres » et « restez en lieu sûr »… Cannes teste l’alerte tsunami

« On était dans le bus, à l’hôtel de ville, et les téléphones de tout le monde se sont mis à sonner en même temps. Avec un bruit très fort. Le message disait  »alerte extrême ». Et c’était écrit en gras. On a eu très très peur. Il y a eu un vrai moment de panique. » Jeudi, 16h30 à Cannes, Lilia, Ambre et Mahée, trois lycéennes en sont encore toutes retournées. Quelques minutes plus tôt, la préfecture des Alpes-Maritimes lançait, comme prévu dans des annonces dans la presse et sur les réseaux, un test du système FR-Alert au sujet d’un tsunami qui menaçait (pour de faux) de frapper le littoral.

Une première en France dans cette commune en pointe sur la question, destinée à évaluer ce dispositif déployé sur les smartphones récents depuis l’été dernier mais aussi, selon un responsable des services de l’Etat dans le département, à « préparer les populations » à « adopter les bons réflexes ». « La probabilité d’une vague d’un mètre, donc catastrophique, dans les trente prochaines années est très élevée » sur les côtes méditerranéennes, relevait l’an dernier Vladimir Ryabinin, le secrétaire exécutif de la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco.

Un concert de sonneries stridentes

« On est en face de la mer, on sait que ça peut arriver », témoignent encore les trois adolescentes tourneboulées sur les allées de la Liberté, où la mairie de Cannes avait installé un stand et déployé des bénévoles pour expliquer la démarche, et éventuellement rassurer. A 16h06, très précisément, autour du Palais des festivals et dans un autre quartier de la ville, à l’ouest, tous les smartphones ont été déclenchés. Ou presque. Ce système de « diffusion cellulaire », à tous les abonnés d’un secteur donné, accuse encore quelques ratés avec les opérateurs Free et dans une moindre mesure Orange, expliquait-on sur place. Tous ceux qui y ont eu droit ont en tout cas reçu la même notification, en anglais et en français : « Alerte tsunami en mer Méditerranée. Un tsunami va atteindre les côtes dans quelques minutes. Evacuez à pied vers l’intérieur des terres. »

Moment de flottement (sans mauvais jeu de mots) entre le concert de sonneries stridentes particulièrement anxiogène et la mention « Exercice – Exercice – Exercice » qui a échappé à certains. « Je n’ai pas vu tout de suite la précision alors ça m’a fait bizarre », a notamment raconté Frédéric, qui a reçu le message alors qu’il se trouvait vers l’hôpital de Cannes, à près de 2 km du centre de congrès. Dans une banque à proximité, « tout le monde a paniqué et a voulu partir », a aussi expliqué un témoin de cette scène.

« Les gens affolés font n’importe quoi »

Autour du stand installé par la municipalité, l’alerte était également donnée via les haut-parleurs de la ville (près de 330 sont installés sur la voie publique). Mais elle était difficilement audible à cause du vent qui soufflait sur la Croisette. « Vous avez reçu un message qui vous a surpris ? » Marie-Laure Chenel, membre de la Réserve civique de Cannes sur tous les risques majeurs, va à la rencontre des passants. Elle explique la démarche à René, 82 ans. « Oh vous savez, en cas de catastrophe, les gens sont affolés et font n’importe quoi », souffle le retraité. « Justement, on est là pour que ça se passe mieux si jamais, un jour, l’alerte était vraiment donnée », lui répond la bénévole.

De la documentation est à disposition. A Cannes, où le sujet a été pris à bras-le-corps par la mairie depuis quelques années, une signalétique a été apposée pour coordonner les évacuations. Elle indique les points, en hauteur ou à bonne distance du littoral, à rejoindre en cas d’alerte. En 2017, elle était aussi « la première ville de France à organiser un exercice de simulation dans le cadre de son Plan de sauvegarde communal (PCS) ». « La commune peut être très impactée car l’altimétrie est basse », note le directeur Risques majeurs à la mairie, Yannick Ferrand.

« Davantage de sensibilisation »

La menace est en tout cas réelle. Elle a déjà frappé. En 1887 notamment, après un tremblement de terre qui avait fait 644 morts entre la France et l’Italie. Le 16 octobre 1979, une vague provoquée par un affaissement de terrain sur un chantier au sud de l’aéroport de Nice tuait également onze personnes. Selon les modélisations les plus extrêmes testées par le laboratoire Geoazur, en cas de « rupture totale de la faille Ligure » avec « un séisme d’une magnitude de 7.5 », les déferlantes pourraient même « atteindre 4 m à Menton et sur les caps, notamment à Antibes », expliquait, en 2019 à 20 Minutes, la scientifique Laurie Boschetti. Le bilan serait alors dans d’autres proportions.

D’où l’intérêt, selon elle, « que les Azuréens aient conscience que le risque existe » et qu’ils bénéficient de « davantage de sensibilisation ». C’était le but de la manœuvre de jeudi, en plus de tester cette alerte, directe, sur le téléphone des personnes potentiellement concernées. Dans le message envoyé, un lien renvoyait vers un questionnaire. Et, une heure après l’envoi, 600 personnes y avaient déjà répondu, selon la mairie de Cannes. Les données, reçues en temps réel, vont être analysées par Johnny Douvinet, professeur de géographie à l’université d’Avignon, en charge de l’étude et présent hier dans la cité des festivals. Sur les premiers témoignages, « 52 % des personnes se sont dites stressées par l’alerte, 80 % ont eu un sentiment de surprise et 90 % ont fait part de leur curiosité ». Des chiffres qui serviront à améliorer le dispositif. Depuis le déploiement de FR-Alert, l’été dernier, 27 exercices avaient déjà été organisés en France mais jamais encore sur la thématique du tsunami.