France

Eurovision 2023 : Le Melodifestivalen, un « feu de camp 2.0 » où la Suède désigne son artiste pour le concours

De notre envoyé spécial à Stockholm (Suède)

Des ballons de baudruche bleus, orange ou violets agités frénétiquement dans les airs, des boas roses bon marché perdant leurs plumes au moindre mouvement trop brusque, des chapeaux, des vestes et des bottes scintillant de sequins… Ce samedi soir, les 30.000 spectateurs de la Friends Arena de Solna, à quelques kilomètres de Stockholm, n’ont rien à faire de l’élégance et du bon goût. L’enceinte a pris des allures de kermesse géante pour la finale du Melodifestivalen, « le festival des chansons » qui, depuis 1958, désigne l’artiste qui représentera la Suède à l’Eurovision. Des gamins aux grands-parents, tout le monde se passionne pour cette compétition musicale qui rythme durant six semaines les samedis hivernaux des Suédois.

Le « Mello », comme le concours est surnommé ici, « est un feu de camp 2.0. », nous explique Anne-Françoise Hivert, correspondante du Monde. « C’est un des derniers endroits où on se retrouve encore ensemble, avec des membres de plusieurs générations, développe-t-elle. Le lundi, les enfants en parlent à l’école, les adultes au travail… Il reste peu d’évènements de ce genre en Suède. »

« Une question d’immense fierté »

Michael, 51 ans, confirme. Il est venu de Göteborg, à plus de 470 km de là, avec son épouse et ses deux plus jeunes fils de 9 et 13 ans. Le cadet, nous glisse-t-il d’une mine réjouie, est « le plus fan » et « est surexcité d’assister à la finale ». « On a suivi tout le reste à la télé… Les semaines du Mello sont très importantes pour nous. Je pense que c’est quelque chose de typiquement suédois que les étrangers peuvent avoir du mal à comprendre », estime le papa.

« Je crois que c’est d’abord une question d’immense fierté. La Suède est un des pays qui a remporté le plus de victoires à l’Eurovision [six, juste derrière l’Irlande qui s’est imposée sept fois]. Et ce n’est pas rien pour un pays de 10 millions d’habitants, qui a en partie construit son immense industrie musicale sur son premier succès – celui d’Abba en 1974, analyse Anne-Françoise Hivert. Les gens ne l’ont pas oublié. Chaque année, on espère vraiment voir la Suède gagner et organiser l’Eurovision l’année suivante. Je ne suis pas sûre que ce soit le cas de tous les pays, ou que ça l’ait été en tout cas. »

Un écosystème de plus en plus fermé

Participer au Melodifestivalen est par ailleurs une promesse de succès quasi garanti pour les artistes, y compris ceux qui ne se qualifient pas pour la finale. Pour cette édition, vingt-huit étaient sur la ligne de départ afin de décrocher l’une des douze places de finalistes… En plus de bénéficier d’une immense visibilité médiatique, ils partiront en tournée et seront assurément invités ces prochains mois dans de nombreuses émissions…

Le Dagens Nhyeter s’interrogeait cependant dans son édition de samedi : « Melodifestivalen : chance ou malédiction ? » L’article s’est bien gardé d’apporter une réponse définitive mais soulignait que l’événement relevait de l’écosystème à part et de plus en plus fermé. Ainsi, relevait le quotidien suédois, trente et un des quarante-quatre auteurs-compositeurs de cette édition ont déjà œuvré pour le concours par le passé. Parmi eux, Jimmy Thörnfeldt, qui a signé ou cosigné six des douze chansons finalistes de cette édition 2023. Il n’est pas le seul stakhanoviste du Mello. Par exemple, durant cette dernière décennie, Thomas G:son a conçu 38 chansons pour le concours, dont quatre cette année… Comble de cet univers en circuit fermé : il n’est pas rare que des artistes en compétition avec une chanson le soient également en tant qu’auteur ou compositeur pour un concurrent lors de la même édition…

Le charisme de Loreen

D’une année à l’autre, parmi les candidats, une grosse poignée d’artistes font leur retour. Certains ont déjà au moins trois participations à leur actif et en redemandent, quitte à se voir accoler une étiquette « Melodifestivalen » parfois lourde à porter pour exister en dehors de cette bulle. C’est le cas de Loreen. La chanteuse de 39 ans était la grande favorite de cette édition 2023 et sa victoire annoncée s’est concrétisée. Elle est arrivée en têtes de votes du public et des jurys internationaux et défendra donc les chances de son pays à l’Eurovision en mai avec la chanson Tattoo, onze ans après avoir remporté le Melodifestivalen puis l’Eurovision avec Euphoria. Entre-temps, sa carrière n’a guère fait d’étincelles – sa deuxième participation au Mello, en 2017, s’est soldée par un échec lors des repêchages – alors cette nouvelle candidature est une parfaite opportunité pour la relancer. Son titre — sur lequel Thomas G:son, également auteur de Euphoria, a posé sa patte — cartonne sur Spotify et attire déjà l’attention à l’international.

Michael et sa famille, qui n’en finissaient plus d’applaudir lorsque Loreen, leur chouchoute a été sacrée dans une pluie de confettis dorés, illustrent parfaitement l’engouement de la Suède pour cette star made in Mello. Leurs regards seront désormais tournés vers la deuxième demi-finale de l’Eurovision, le 11 mai, à Liverpool (Angleterre) dans l’espoir de la voir se qualifier pour la finale du 13 mai.

De l’avis général, Loreen représente la meilleure option pour obtenir un excellent résultat à la compétition musicale internationale. « Elle est hypercharismatique, note Anne-Françoise Hivert. Je crois que les Suédois en ont marre de ne pas gagner à l’Eurovision [le dernier triomphe remonte à 2015…]. Mais je pense que ce sera très dur pour elle. »