Europe : « C’est la population qui va en payer les frais »… Le Green Deal vit-il ses derniers jours ?
Mauvais vent pour les abeilles. En début de semaine dernière, le Sénat a ouvert la voie à la réintroduction des néonicotinoïdes, un insecticide nocif pour les pollinisateurs interdit dans l’Hexagone depuis 2018. Sur le sujet, la France est pour l’instant « mieux disante » que l’Union européenne, où le pesticide est autorisé, souligne Olivier Costa, directeur de recherches au CNRS et au Cevipof. Mais ce recul s’inscrit dans un mouvement plus large, chez les Vingt-Sept, de « dérégulation » sur les normes environnementales.
« Ce genre de discours n’est pas nouveau », relativise le politologue spécialiste de l’UE, habitué aux « mouvements de balancier entre réguler pour protéger les citoyens et dire qu’on tue l’économie à coups de normes ». A Bruxelles, les voix pour détricoter le Green Deal se font de plus en plus pressantes, portées par l’Italie et la Hongrie. « Il y a une forme de climatodénialisme qui gagne des batailles économiques et politiques », regrette Albin Wagener, enseignant-chercheur en analyse du discours climatique à l’Université catholique de Lille. Il voit se mettre en place une « internationale anticlimat », laissant craindre un recul des mesures écologistes.
L’influence de Donald Trump
Le contexte politique est en effet bien moins favorable à l’écologie qu’en 2019, quand les Verts avaient réalisé une poussée inattendue. « Le résultat des européennes a été favorable à la droite et l’extrême droite, qui progressent au niveau national chez les Vingt-Sept », note Olivier Costa. Ajoutez « l’agressivité commerciale de la Chine, la présidence de Donald Trump et l’inquiétude pour les performances européennes », et vous avez tous les éléments pour faciliter l’enterrement du Pacte vert.
De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump a annoncé une nouvelle sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, « donnant le sentiment qu’on peut en sortir sans conséquences, que cet accord n’est pas si important », regrette Albin Wagener. Or, la sortie du deuxième plus gros pollueur de l’accord aura nécessairement des conséquences pour le climat, en plus de donner un mauvais signal. Au sein de l’UE, l’Allemagne et la France militent par exemple pour revenir sur l’interdiction des moteurs thermiques en 2035 ou sur la directive « CSRD ».
Climatoscepticisme ambiant
Benjamin Haddad, le ministre français chargé de l’Europe, a plaidé pour une « pause réglementaire massive », portant les revendications du patronat. « Quand on crée des règles pour respecter les objectifs de l’accord de Paris, on se crée un handicap mais aussi des opportunités », rappelle Olivier Costa. Le politologue reconnaît toutefois que « la séquence du Pacte vert a conduit à des textes bien intentionnés mais compliqués à mettre en œuvre ». Argument que reprennent les industriels pour évoquer une distorsion de concurrence avec les Etats-Unis.
Les gouvernements aussi y trouvent leur intérêt, adaptant leurs politiques à l’air du temps. « La fabrique du doute, c’est aussi de dire qu’on peut tenter de trouver une voie du milieu entre les militants écologistes et les discours climatosceptiques », clame Albin Wagener. Le climat n’est désormais plus la priorité affichée, place à l’économie.
La fin du pacte vert, une fausse solution
Mais faire tomber le Green Deal ne suffirait pas à combler le « décrochage » de l’Europe. « L’Union européenne n’a quasiment pas de pétrole et n’est pas très forte sur l’IA, donc supprimer les règles n’est pas la solution pour faire face aux Etats-Unis », avertit Olivier Costa, plus favorable à « continuer à développer les technologies vertes ». Sur ce point, le Vieux Continent reste en avance.
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Sur le fil entre simplification et dérégulation, détricoter le Pacte vert « aura une incidence sur la capacité de l’Europe à remplir ses objectifs climatiques », reconnaît-il. « C’est la population qui va en payer les frais, critique Albin Wagener. Il y a de plus en plus d’enjeux sanitaires liés à la pollution, d’enjeux climatique… » En septembre, France Info révélait ainsi que 43 % des échantillons d’eau du robinet collectés dans le cadre d’une enquête contenaient des « polluants éternels », et de nombreux phénomènes météorologiques sont amplifiés par le réchauffement climatique. Qu’en sera-t-il avec des lois moins ambitieuses ?