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Etats-Unis : Un « climat de terreur »… Jusqu’où peut aller la purge des universités lancée par Donald Trump ?

Coupes drastiques des subventions, diatribes haineuses et pressions politiques… Aux Etats-Unis, le monde universitaire fait face à une véritable « purge » de la part de l’administration Trump depuis le retour du républicain à la Maison-Blanche. « Mais contrairement à la purge maccarthyste, menée sur la base de suspicions de communisme [dans les années 1950 aux Etats-Unis], celle-ci n’est pas essentiellement politique. Ce sont des pans entiers de la recherche qui sont rayés de la carte. On veut supprimer la vérité », s’indigne le sociologue Bernard Lahire.

L’administration a en effet publié une liste de sujets censurés dans les recherches subventionnées. « On observe une véritable volonté de taire tout ce qui a trait au dérèglement climatique ainsi qu’aux inégalités, de classe ou de genre, ou à la transidentité, que l’administration Trump considère comme une aberration sociale. Mais même sur la santé, de nombreux sujets sont censurés, car le virilisme de Donald Trump le pousse à penser que beaucoup de choses ne servent à rien », explique le directeur de recherche CNRS au Centre Max-Weber.

Une « attaque en règle » contre ceux qui défient « son autorité »

Jeudi, le président américain a signé un décret visant à enterrer le ministère de l’Education (qui, lui aussi, ne servirait à rien). Certes, dans un pays où l’éducation est principalement aux mains des autorités locales, ce démantèlement n’est pas aussi dévastateur qu’il pourrait l’être en France. Mais cela reste un symbole. Car il ne faut pas s’y tromper, assure Vincent Michelot, professeur d’histoire politique des Etats-Unis à Sciences Po Lyon : « nous assistons à une attaque en règle de l’enseignement supérieur [outre-Atlantique] et elle prend de nombreuses formes ».

Mais Donald Trump ne fait pas exception. « Lors des périodes de populisme, on s’en prend toujours aux intellectuels et aux universités. C’est une constante, simplement l’ampleur est ici tout simplement stupéfiante », assure le vice-président chargé des relations internationales à l’École normale supérieure de Lyon. D’autant plus que le président américain est un adepte des contrevérités, un art difficilement compatible avec la rigueur scientifique.

En avril 2020, lors d’une conférence de presse en pleine pandémie de Covid-19, le président d’alors avait suggéré l’idée de s’injecter de la javel pour faire un « nettoyage » du corps. Il avait évidemment été contredit (mais aussi moqué) par de nombreux scientifiques. « Il les voit comme des gens qui remettent en question son autorité, tout simplement », note Bernard Lahire. Parfois, « il règle aussi des griefs personnels », ajoute Vincent Michelot. Il cite notamment le conflit sur les étudiants transgenres qui a opposé la gouverneure du Maine et Donald Trump. Il s’est soldé par une coupe de 30 millions d’aide fédérale aux universités publiques de l’Etat, rétablis depuis. « Dans tout pouvoir autoritaire, il y a une part d’arbitraire purement personnel », abonde Bernard Lahire.

Des centaines de millions de dollars en jeu

Fidèle à sa volonté de faire des économies, Donald Trump a supprimé une myriade de financements fédéraux universitaires depuis son retour en janvier. L’université Johns Hopkins (Maryland) va perdre 800 millions de dollars de fonds fédéraux à cause des coupes drastiques subies par l’agence américaine de développement. En conséquence, l’établissement a licencié plus de 2.000 personnes. « A Stanford [Californie], ils ont perdu 230 millions de dollars de subvention. Et à Columbia [New York], c’est 400 millions ! », explique Vincent Michelot. Les chiffres se succèdent, mais « il faut laisser retomber la poussière pour savoir combien d’argent sera réellement amputé », note le spécialiste des Etats-Unis, alors que de nombreuses suspensions sont toujours en cours d’examen par l’administration ou la justice.

Quel que soit le chiffre final, la facture restera salée pour le monde scientifique états-unien. Mais aussi pour la démocratie. La semaine dernière, Columbia a publié un communiqué annonçant des sanctions à l’encontre d’étudiants impliqués dans les manifestations pro-palestiniennes qui ont secoué l’université au printemps dernier. Parmi elles, des suspensions de plusieurs années, des exclusions et des retraits « temporaires » de diplômes.

Un climat de « terreur »

« C’est probablement un levier dans l’espoir de récupérer des financements », estime Vincent Michelot, qui rappelle que Donald Trump est régulièrement « transactionnel ». « Les universités font le dos rond. Elles essayent de se montrer gentilles et conciliantes » regrette Bernard Lahire. En agissant ainsi, les facs tout comme les universitaires espèrent que la foudre de l’administration Trump ne « leur tombe pas dessus ».

Mercredi, le ministre de la Recherche français a dénoncé le fait qu’un chercheur français a été refoulé à la frontière des Etats-Unis pour avoir exprimé « une opinion personnelle sur la politique menée par l’administration Trump ». Bernard Lahire insiste sur le climat de « terreur » actuel : « Des universitaires américains refusent de témoigner car ils ont peur d’être reconnus et d’en faire les frais. Quand les gens en sont là, c’est que le régime autoritaire fonctionne à plein régime. »