France

Etats-Unis : On vous explique pourquoi cette élection dans le Wisconsin mardi est cruciale pour l’Amérique tout entière

Ce mardi 1er avril, les regards des habitants des États-Unis – et bien au-delà – seront braqués sur une élection judiciaire dans le Wisconsin. Une banale course à la Cour suprême locale ? Pas du tout. Dans cet État du Midwest considéré comme un « swing state » – un territoire clé susceptible de faire basculer la prochaine présidentielle –, ce scrutin hautement politisé pourrait bien peser sur l’avenir du pays tout entier.

Avortement, démocratie électorale, influence des milliardaires : ce vote local s’annonce comme un concentré des tensions idéologiques américaines actuelles. 20 Minutes s’est entretenu avec Tristan Cabello, historien de la politique américaine à la Johns Hopkins University, pour comprendre ce qui se joue.

Pourquoi élit-on des juges aux États-Unis ?

Aux États-Unis, chaque État dispose de sa propre Cour suprême. Elle tranche les litiges locaux, y compris ceux liés aux droits civiques, à l’accès à l’avortement ou aux règles électorales. Contrairement à la France, où les magistrats sont nommés, de nombreux juges américains sont élus par les citoyens lors de scrutins organisés à intervalles réguliers.

Dans le Wisconsin, les juges siègent pour des mandats de dix ans, et bien que les élections soient officiellement « non partisanes », elles opposent presque toujours des candidats soutenus par des partis politiques, des lobbys ou de puissants intérêts financiers.

L’avortement au cœur du scrutin

La Cour suprême du Wisconsin, composée de sept juges (élus, donc), pourrait basculer cette semaine d’une majorité progressiste à une majorité conservatrice. Et avec elle, le sort du droit à l’avortement dans l’État. « Cela dépasse largement le cadre local : c’est une bataille pour le contrôle de l’orientation idéologique d’une Cour suprême dans un État pivot », explique Tristan Cabello.

« Le Wisconsin est devenu un terrain d’affrontement pour des enjeux nationaux comme le droit à l’avortement, le redécoupage électoral, le droit de vote, les droits syndicaux et même des intérêts économiques privés. » En ligne de mire : une loi de 1849, jamais abrogée, qui interdit quasi totalement l’IVG. Elle pourrait redevenir applicable si les conservateurs reprennent la majorité.

Composée de sept juges élus, la Cour suprême du Wisconsin (ici en séance en 2023) joue un rôle décisif dans l’arbitrage des lois locales, notamment sur l’avortement, les droits électoraux et le découpage des circonscriptions.
Composée de sept juges élus, la Cour suprême du Wisconsin (ici en séance en 2023) joue un rôle décisif dans l’arbitrage des lois locales, notamment sur l’avortement, les droits électoraux et le découpage des circonscriptions. - Ruthie Hauge/AP/SIPA

Une démocratie en jeu

On l’a dit, la Cour suprême de l’État joue aussi un rôle central dans la définition des règles électorales, notamment en matière de découpage des circonscriptions. C’est ce qu’on appelle le « gerrymandering », une pratique légale – mais controversée – consistant à redessiner les cartes électorales pour maximiser les chances d’un parti. « La Cour suprême du Wisconsin a déjà joué un rôle clé en 2020 en rejetant à une voix près la tentative de Donald Trump de faire invalider des milliers de bulletins dans les comtés démocrates », poursuit l’historien.

Un basculement conservateur pourrait ouvrir la voie à un redécoupage électoral favorable aux républicains, avec des effets durables sur les élections locales et nationales. « Cette élection est un véritable laboratoire juridique et politique de la stratégie nationale du parti républicain. »

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Une course à coups de millions

Officiellement, l’élection locale de mardi est non partisane. En réalité, elle est devenue la plus chère de l’histoire américaine, avec plus de 73 millions de dollars déjà dépensés, et des projections dépassant les 100 millions. « Ce niveau de financement est inédit. C’est la course judiciaire la plus coûteuse de l’histoire américaine », note le spécialiste.

Les deux camps sont soutenus par de puissants mécènes. La candidate progressiste, Susan Crawford, a reçu le soutien du magnat de la finance George Soros, du gouverneur démocrate J.B. Pritzker ainsi que d’un des cofondateurs du réseau LinkedIn, Reid Hoffman. De son côté, le candidat conservateur Brad Schimel est soutenu par Elon Musk, les milliardaires Richard et Elizabeth Uihlein, ou encore le richissime banquier Joe Ricketts. « Ces grandes fortunes ne financent pas seulement des campagnes ; elles soutiennent des visions du droit, de la société et du rôle de l’État », nous explique Tristan Cabello. « Le fait que Musk offre 100 dollars aux électeurs pour signer des pétitions contre les juges dits “activistes” illustre une instrumentalisation agressive du processus électoral, au service d’intérêts à la fois idéologiques et économiques. »

Un test pour l’Amérique post-2024

Au-delà de cette Cour suprême du Midwest, ce scrutin est aussi le premier test électoral depuis la présidentielle de 2024. Le Wisconsin, remporté de justesse par Trump (49,7 % contre 48,9 % des voix pour Kamala Harris), est observé de près pour ses dynamiques locales. « Le comportement électoral dans certains comtés clés comme Waukesha (banlieue conservatrice), Dane (Madison) ou Milwaukee (centre urbain afro-américain) sera scruté de très près. »

Notre dossier sur les Etats-Unis

La mobilisation des jeunes, des femmes et des électeurs afro-américains pourrait inverser la tendance. Et surtout, la figure d’Elon Musk est devenue un catalyseur de la mobilisation à gauche. « Si l’électorat démocrate, affaibli depuis 2024, parvient à se remobiliser autour du rejet d’Elon Musk (car c’est bien lui qui mène la campagne), cela indiquerait que la nouvelle stratégie de mobilisation autour des figures de pouvoir économique […] pourrait porter ses fruits. » « À l’inverse, une percée de Schimel dans les banlieues pourrait signaler la normalisation du trumpisme sous ce second mandat. » Ce qui ouvrirait la voie à des transformations profondes du droit électoral en vue de 2028. Réponse mardi pour cet avant-goût des élections de mi-mandat (les midterms).