France

États-Unis : La Cour Suprême sort de sa réserve et réplique à Trump après son appel à destituer un juge fédéral

Le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts, est sorti de son silence ce mardi 18 mars pour défendre l’indépendance de la justice, en réponse à Donald Trump, qui réclame la destitution d’un magistrat ayant suspendu l’expulsion de plus de 200 migrants vers le Salvador. Cette déclaration est d’autant plus rare que Roberts évite habituellement de commenter les affaires politiques.

Ce rare communiqué marque un point de rupture entre le pouvoir judiciaire et l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Retour sur une crise judiciaire en plusieurs actes.

Vendredi 14 mars 2025 : Trump invoque une loi du 18e siècle pour expulser des migrants

Tout commence vendredi soir dernier. Donald Trump signe un décret invoquant le Alien Enemies Act de 1798, une loi qui permet d’expulser des étrangers considérés comme une menace en période de guerre. Cette loi n’a été utilisée que trois fois dans l’histoire des États-Unis, notamment pour l’internement des Japonais-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le président américain justifie son décret en accusant le gang vénézuélien Tren de Aragua de mener une guerre contre les États-Unis. Cette organisation criminelle est impliquée dans le trafic d’êtres humains en Amérique latine, mais il n’existe aucune preuve qu’elle opère à grande échelle aux États-Unis.

Samedi 15 mars 2025 : un juge bloque les expulsions… mais les vols partent quand même

Dans la foulée de cette proclamation, plusieurs centaines de migrants vénézuéliens sont transférés en urgence vers le Texas pour être expulsés. Deux avions décollent pour le Salvador et le Honduras, tandis qu’un troisième est en préparation.

Alertée par des avocats de l’ACLU (une ONG américaine qui défend les libertés civiles et les droits constitutionnels aux États-Unis), une plainte est déposée pour contester ces expulsions basées sur une loi de guerre sans déclaration officielle de conflit. Le juge fédéral James Boasberg bloque temporairement les déportations. « La présence du Tren de Aragua aux États-Unis ne constitue pas une invasion militaire. Cette loi ne peut être utilisée comme prétexte pour expulser des individus sans procédure judiciaire. » Il ordonne le retour immédiat des avions aux États-Unis. Sauf que l’administration Trump ignore cette injonction et laisse les avions poursuivre leur route.

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Lundi 17 mars 2025 : Trump attaque le juge Boasberg et appelle à sa destitution

Lundi matin, le juge Boasberg accuse l’administration Trump d’avoir violé son ordre, mais il reconnaît que l’un des avions a quitté l’espace aérien américain avant que son interdiction ne soit officiellement inscrite dans le registre du tribunal. Comme souvent, c’est sur son réseau social Truth Social que Donald Trump réplique. Il lance même une attaque violente contre le juge Boasberg : « Ce radical de gauche, trouble-fait et agitateur, nommé par Barack Hussein Obama, devrait être DESTITUÉ !!! » Il ne mentionne pas le juge par son nom, mais le message est clair. Ses alliés relaient immédiatement son appel à la destitution.

Le même jour, le Congrès républicain introduit une résolution pour destituer Boasberg, bien que la destitution d’un juge fédéral soit un processus extrêmement rare et nécessite une majorité des deux tiers au Sénat – un seuil que les Républicains ne possèdent pas.

Le post sur Truth Social dans lequel le Président appelle à la destitution du juge qui n'a pas arbitré en sa faveur.
Le post sur Truth Social dans lequel le Président appelle à la destitution du juge qui n’a pas arbitré en sa faveur. - Truth Social

Mardi 18 mars 2025 : le juge en chef John Roberts rompt le silence

Face à cette attaque sans précédent contre un juge fédéral, le juge en chef John Roberts intervient publiquement via un communiqué officiel de la Cour suprême. Il rappelle un principe fondamental du système judiciaire américain : « depuis plus de deux siècles, il est établi que la destitution n’est pas une réponse appropriée à un désaccord sur une décision judiciaire. Le processus normal d’appel existe précisément pour cela. »

Bien que Roberts ne mentionne pas Trump directement, le message est une réponse directe aux attaques du président. Il défend l’indépendance du pouvoir judiciaire et rappelle que les juges ne doivent pas être soumis à des représailles politiques.

Consulter notre dossier sur les Etats-Unis

Une crise qui divise l’opinion et les institutions

L’administration Trump défend décret, tout en affirmant que les expulsions sont conformes à la loi et que le gouvernement ne pouvait pas revenir en arrière une fois les avions en vol. « Nous avons suivi la loi. Ces criminels étaient déjà en l’air quand la décision est tombée. » précise Karoline Leavitt, la porte-parole de la Maison-Blanche lors de son briefing avec la presse. De son côté, le Secrétaire d’État Marco Rubio, architecte d’un accord avec le Salvador pour héberger ces détenus, se félicite de l’expulsion de « 250 membres du gang Tren de Aragua », malgré l’absence de preuve que ces migrants étaient affiliés au gang criminel.

Par ailleurs, des juristes s’inquiètent de l’utilisation de la loi de 1798 comme prétexte pour expulser tout Vénézuélien sur simple décision présidentielle, sans preuve ni procès. « Une fois hors du pays, ces migrants n’ont aucun recours. Trump pourrait déclarer n’importe qui membre du Tren de Aragua et l’expulser sur simple proclamation. » explique Adam Isacson, du Washington Office for Latin America.

Le président Donald Trump salue John Roberts lors de son discours au Capitol de Washington début mars 2025.
Le président Donald Trump salue John Roberts lors de son discours au Capitol de Washington début mars 2025.  - Julia Demaree Nikhinson/AP/SIPA

Un affrontement politique et judiciaire sans précédent

La prise de parole de John Roberts n’est pas sans rappeler 2018, lorsque Trump avait qualifié un juge fédéral de « juge d’Obama », et que Roberts avait répliqué : « Nous n’avons pas de juges d’Obama, de juges de Trump, de juges de Bush ou de juges de Clinton. Ce que nous avons, c’est un groupe extraordinaire de juges dévoués, qui font de leur mieux pour rendre la justice de manière équitable. »

Alors que va-t-il se passer maintenant ? Le juge Boasberg a convoqué une nouvelle audience vendredi prochain afin d’examiner la légalité du décret et de statuer sur le sort des autres migrants menacés d’expulsion. Même si le Congrès votait la destitution de Boasberg, le Sénat n’a pas la majorité nécessaire pour le destituer. La Cour suprême, dominée par une majorité conservatrice pourrait être amenée à trancher cette affaire et à fixer une limite à l’utilisation du Alien Enemies Act.