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Etats-Unis : Drapeau inversé, boycott, manif… Ces Américains anonymes résistent à la vague Trump comme ils le peuvent

«En France, une réforme impopulaire mettrait des milliers de citoyens dans la rue ! » C’est le genre de commentaires que l’on retrouve sous certains de nos articles sur l’actualité américaine, notamment depuis le retour au pouvoir de Donald Trump. Réélu en novembre, le président républicain a entamé un second mandat aux allures de croisade autoritaire. Une justice fragilisée, des expulsions controversées, une chasse aux voix critiques… Pourtant, la rue américaine ne gronde pas.

Mais derrière ce calme apparent, une autre histoire s’écrit. Celle de citoyens qui tentent de résister, chacun à leur manière. Par peur, par colère ou par amour de leur pays. Voici quelques-unes de leurs voix.

Le drapeau inversé, un symbole de détresse nationale

Dans une rue tranquille de la banlieue de Denver, dans le Colorado, un drapeau américain flotte devant une maison. Il est bien visible, planté juste en face du centre communautaire de la ville. Comme dans beaucoup de foyers américains, le « Stars and Stripes » est affiché fièrement, symbole de patriotisme. Mais ici, il est inversé. Or outre-Atlantique, le retourner est un geste rare, grave. C’est un signal de détresse, historiquement utilisé en cas de danger immédiat pour la République. C’est aussi un geste controversé.

Ce drapeau « inversé », c’est celui de John*, 67 ans. Ancien militaire de l’US Air Force, il a soutenu Donald Trump en novembre dernier. Si beaucoup de soutiens du président sont encore convaincus d’avoir fait le bon choix, John*, lui, est plus réservé. Ce geste de retourner son drapeau lui paraissait encore inconcevable il y a quelques mois. « Avant, je pensais comme ceux qui le prennent mal. Je me disais : “Quel manque de respect !” Mais aujourd’hui, je ne sais plus quoi faire d’autre. »

Des manifestants brandissent un drapeau américain inversé en Californie le 1er mars 2025.
Des manifestants brandissent un drapeau américain inversé en Californie le 1er mars 2025. - Stephen Lam/AP/SIPA

« Ce n’est pas une histoire de gauche ou de droite »

Veuf, père de quatre enfants et grand-père de trois petits-enfants – dont l’un est en situation de handicap – John* n’accuse pas un homme en particulier. Il dénonce un virage. « Ce n’est pas une histoire de gauche ou de droite. C’est plus grave que ça. C’est ce que nous sommes en train de devenir. » Il s’inquiète pour les libertés individuelles, le coût de la santé, l’effondrement des contre-pouvoirs. Et surtout, pour son petit-fils. « Avec ce qu’ils font au ministère de l’Education [qui vient d’être démantelé au niveau fédéral], je ne sais même pas s’il sera encore pris en charge demain. C’est de plus en plus dur d’être “différent” dans ce pays. »

John ne manifeste pas. Il n’est pas sur les réseaux sociaux. Mais chaque matin, il hisse ce drapeau, comme un cri silencieux. « Pour moi, c’est patriotique. J’aime mon pays tellement que je demande de l’aide. »

« Ici, il n’y a pas vraiment de place du village »

À une heure de route de Sacramento, entre les forêts californiennes et les montagnes de la Sierra Nevada, Perrine, expatriée française, vit dans une zone semi-rurale. Ancienne militante de l’économie solidaire, elle reconnaît avoir perdu, en arrivant ici, ce tissu militant. « Ici, il n’y a pas de place du village. Les gens se regroupent par quartier, par milieu social, et ils ne portent pas leurs opinions politiques en ville. »

Elle résiste autrement. Pas dans la rue, mais dans ses achats. « En France, on manifeste. Ici, on attaque au portefeuille. » C’est par ses proches qu’elle entend parler du boycott du 28 février dernier : pas d’achats en ligne ni dans les grandes enseignes, pas d’essence. Et si on doit vraiment faire des achats, alors on paie tout en liquide et on consomme local. « On a même suspendu nos abonnements aux plateformes de streaming ce jour-là. Pas de renouvellement automatique, rien. » Elle cible les entreprises qu’elle juge complices de l’administration en place ou lâches : Amazon, Meta, Tesla, Walmart, Target. « Target, c’était l’inclusion. Et ils ont tout abandonné. Ce n’est pas qu’un recul marketing, c’est une soumission politique. »

Le 17 février à Washington, lors du "Not my président day".
Le 17 février à Washington, lors du « Not my président day ».  - Robyn Stevens Brody/Sipa USA/SIP

« L’engagement n’a pas besoin d’être spectaculaire »

Mais pour Perrine, une action ponctuelle ne suffit pas. « Ce que j’aurais aimé, c’est un vrai suivi. Qu’on nous dise : “voilà ce que ça a donné”, et qu’on organise la suite. » Elle réfléchit à ses prochaines actions : télécharger une appli de boycott, se rapprocher de personnes engagées, soutenir les assos qui font le boulot, afficher sa solidarité.

Et surtout, ne pas attendre que tout repose sur des héros visibles. « L’engagement n’a pas besoin d’être spectaculaire. Peut-être que c’est garder les enfants de celles et ceux qui vont manifester. Apporter des pizzas. Prêter ses compétences. Être là, tout simplement. Pour moi, tout est lié. »

« Au début, j’étais en rage. Maintenant, je suis surtout inquiète. »

Amandine vit sur la côte Est. Franco-américaine, engagée, queer, elle fait partie de celles qui ne veulent plus rester chez elles quand le monde bascule. Elle est passionnée de musique, investie dans des communautés diverses. Et surtout, comme beaucoup, elle est passée par toutes les émotions depuis la réélection de Donald Trump. « Au début, j’étais choquée. Ensuite, j’étais en rage, je voulais tout casser. Maintenant… je suis surtout inquiète. Chaque jour, il y a un nouveau truc. Jusqu’où ça va aller ? »

Quand l’administration a commencé à multiplier les mesures controversées – expulsions de masse, attaques contre les personnes trans, insultes envers le président ukrainien –, elle n’a pas pu rester immobile. Elle a participé à la manifestation Not My President Day, puis à No Kings Day, et se prépare pour la marche du 5 avril, organisée par le mouvement 50-50-1 : 50 manifestations dans 50 États, le même jour. « J’étais l’une des premières dans mon entourage à parler de ce mouvement. Maintenant, de plus en plus de gens se réveillent. »

Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders peinent à porter le renouveau des démocrates.
Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders peinent à porter le renouveau des démocrates.  - Calvin Stewart/ZUMA/SIPA

« Des gens engagés dans une cause réalisent que tout est lié. Black Lives Matter commence à dénoncer les expulsions massives. Les militants ukrainiens se mobilisent contre Trump après ses propos sur Zelensky. Toutes les colères commencent à fusionner. » Mais cette dynamique citoyenne se heurte à un vide politique.

« Je ne sais pas ce qu’ils foutent, les démocrates. Ils nous demandent de l’argent toutes les trois secondes, mais ils sont où ? » Elle évoque son espoir en Bernie Sanders, en Alexandria Ocasio-Cortez, mais se dit désabusée face à l’inaction générale du parti.

« J’ai envie de dire des choses, mais je ne peux pas »

Dora*, elle, vit à Phoenix, en Arizona. En attente du renouvellement de sa carte verte, elle fait partie de celles et ceux qui choisissent de se taire. Pas par indifférence. Par nécessité. « J’ai trop envie de foncer et dire des choses, mais je ne peux pas. » Elle n’a pourtant rien subi directement. Pas de menace, pas d’interpellation. Et pourtant, la peur est là. Alimentée par une réalité bien documentée : des résidents légaux, parfois installés depuis des années, refoulés à la frontière, détenus, ou menacés d’expulsion pour avoir pris la parole.

« Ce sont des cas isolés, mais c’est suffisant pour envoyer un message : fermez-la. » Dora* doit voyager à l’étranger en juin. Elle sait qu’elle reviendra avec une green card expirée et une lettre d’extension. C’est légal, mais… « Je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangée à la douane. » Elle a vu le cas de Mahmoud Khalil, figure de la mobilisation pro-palestinienne à l’université de Columbia, menacé d’expulsion. Elle cite aussi une chercheuse reconnue renvoyée sans appel, un Allemand détenu par ICE. Dora* regarde les mobilisations de loin, avec admiration et frustration.

Une opinion américaine divisée

Depuis le début de son second mandat, l’opinion des Américains sur Donald Trump reste très divisée. Bien que ses taux d’approbation soient légèrement supérieurs à ceux de 2017, ils demeurent parmi les plus bas de l’histoire moderne pour un président. En ce mois de mars, un sondage Morning Consult indique que 50 % des personnes interrogées désapprouvent de l’action du président américain, contre 48 % qui l’approuvent. Un autre sondage réalisé par NBC News montre une désapprobation plus marquée, avec un écart de 4 points en défaveur de Trump.

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Cette polarisation s’explique en partie par le soutien massif du parti républicain, qui affiche un front uni, tandis que les démocrates sont plus divisés.

* Les prénoms ont été modifiés