Espionnage en Hongrie : L’Union européenne face à un « ennemi de l’intérieur »
Entre 2012 et 2018, des médias européens ont accusé la Hongrie d’avoir mené des opérations d’espionnage au sein des institutions européennes, ce que Budapest nie en bloc. En 2022, l’UE a gelé environ 6,3 milliards d’euros de fonds destinés à la Hongrie par le biais de la conditionnalité budgétaire, tandis qu’en décembre 2023, elle a débloqué 10,2 milliards d’euros sur d’autres fonds gelés.

Bruxelles est-elle sur écoute ? La semaine dernière, plusieurs médias européens ont accusé la Hongrie d’avoir mené des opérations d’espionnage au sein des institutions européennes entre 2012 et 2018. Bien que Budapest rejette ces accusations, un « groupe interne » sera formé pour enquêter sur ces soupçons.
C’est une affaire qui survient alors que les relations entre l’Union européenne et la Hongrie se sont dégradées depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre d’extrême droite Viktor Orban, en 2010. Ces soupçons et les tensions croissantes entre Bruxelles et Budapest soulèvent une question cruciale : comment l’Union européenne peut-elle gérer un « ennemi de l’intérieur » ?
L’impossible exclusion
L’exclusion d’un État membre, même pour faute grave ou violation des principes fondamentaux de l’Union européenne, n’est pas prévue par les traités. La seule possibilité pour un État de quitter l’UE est encadrée par l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE), nécessitant une décision unilatérale et volontaire de l’État concerné.
C’est par cet article que le Royaume-Uni a agi en 2020 lors du Brexit. « Ce n’est pas un oubli, c’est plutôt que l’Union européenne repose sur un principe de confiance mutuelle », explique Raphaële Xenidis, professeure de droit européen à Sciences Po.
La voie politique
C’est le principal mécanisme de sanction politique de l’Union. « L’article 7 est la voie politique pour sanctionner un État membre qui ne respecte pas les valeurs stipulées à l’article 2 du TUE, qui incluent le respect de l’État de droit, de la démocratie ou encore des droits humains », indique Raphaële Xenidis.
La première étape est préventive. « Ce mécanisme permet de déclarer, à la majorité des 4/5, qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs de l’article 2. » Il a été activé contre la Hongrie en 2018, mais cette première étape n’est qu’une procédure d’avertissement.
Pour passer à la seconde étape, le Conseil européen doit constater une violation grave et persistante des valeurs européennes. De véritables sanctions peuvent alors être appliquées, dont la suspension du droit de vote au Conseil. Cependant, « ce mécanisme de sanctions n’a jamais été activé, car il requiert l’unanimité des États membres – excepté l’État visé, et il y a toujours eu un véto. La Pologne et la Hongrie se sont ainsi protégées mutuellement », explique Raphaële Xenidis. L’article 7 est donc particulièrement difficile à appliquer.
La voie financière
Bruxelles dispose d’autres outils, y compris la conditionnalité budgétaire. Ce mécanisme, instauré en 2021, permet à l’Union européenne de suspendre certaines aides financières à un État membre en cas de violations de l’état de droit. « Cette suspension peut être mise en place avec une simple majorité qualifiée, facilitant ainsi l’application de sanctions », souligne Raphaële Xenidis. Depuis 2022, l’UE a gelé environ 6,3 milliards d’euros de fonds destinés à la Hongrie, en raison de la conditionnalité budgétaire.
Accusée de ne pas respecter l’état de droit, Budapest a effectué quelques changements. En décembre 2023, l’UE a débloqué 10,2 milliards d’euros de fonds gelés. Cependant, les 6,3 milliards restants restent bloqués car les progrès réalisés ont été jugés insuffisants. Environ 1 milliard a été perdu définitivement, les changements demandés n’étant pas effectués avant la date butoir.
« C’est un mécanisme de pression assez lourd et une façon pour l’UE de contourner les difficultés d’exécution posées par l’article 7 », résume la spécialiste du droit européen. Toutefois, concernant la question de l’espionnage, ce mécanisme ne pourrait être utilisé que si un lien entre ces activités et la violation de l’état de droit était prouvé.
La voie judiciaire
La Commission européenne peut également poursuivre un État membre devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’il enfreint le droit de l’UE. Ce « recours en manquement » concerne généralement des aspects techniques tels que le fait d’être condamné pour des décharges illégales ou, comme la France, pour la pollution de l’air en 2020. En 2022, la Commission a saisi la CJUE sur la base de l’article 2 du TUE, qui énonce les valeurs de l’Union. Elle accuse la Hongrie de violer les droits des minorités, alors que des lois LGBTphobes ont été instaurées dans le pays.
« Jusqu’à présent, cet article était plus programmatique que justiciable. L’avocate générale a estimé qu’il y avait bien une justiciabilité de l’article, mais la Cour doit trancher et elle peut encore aller à l’encontre de sa position », explique Raphaële Xenidis. Si la Cour suit cette position, cela ouvrirait la voie à un nouveau type de sanction. Un État membre pourrait être reconnu coupable d’avoir violé les valeurs fondamentales de l’Union, et non plus seulement des règles techniques. La Cour pourrait alors imposer des amendes financières quotidiennes jusqu’à la mise en conformité, renforçant ainsi la capacité de l’UE à agir contre un « ennemi de l’intérieur »… sans avoir à recourir au lourd dispositif politique de l’article 7.

