Espace : Faut-il croire au BioPod, la future ferme spatiale que prépare Interstellar Lab ?
Peut-être avez-vous vu Seul sur Mars ? Dans ce film de Ridley Scott sorti en 2015, Mark Watney, incarné par Matt Damon, se retrouve coincé sur la planète rouge pour plusieurs années avant l’arrivée de la prochaine mission habitée. Botaniste de formation, l’astronaute se met alors à cultiver, avec les moyens du bord, des pommes de terre à l’intérieur du seul habitat disponible, un dôme conçu pour assurer la survie de six personnes pendant trente jours.
S’il s’en sort, sans doute l’astronaute aurait eu la vie plus facile avec un « BioPod » sous la main. A terme, c’est en tout cas bien dans l’Espace, pour supporter la vie des astronautes embarqués dans des missions longues sur la Lune ou Mars, qu’Interstellar Lab imagine le mieux son module d’agriculture en environnement contrôlé.
Hermétiquement fermé et en autonomie
Mardi soir, depuis ses bureaux d’Ivry-sur-Seine, la start-up française a présenté son premier BioPod dans un show à l’américaine. Monté sur pieds – « ce qui permet de l’installer facilement sans aucune fondation », précise Barbara Bebilvisi, fondatrice et présidente d’Interstellar Lab –, le module, tout en ellipse, fait 7 mètres de haut pour 10 de long et 6 de large. Sa base, du moins celle de ce premier exemplaire, est en matériaux composites, « les mêmes, à peu de chose près, que ceux utilisés pour les coques de bateaux », précise-t-on à Interstellar Lab. Le reste est formé d’une membrane en Ethylene tetrafuloroethylene (ETFE), gonflable et transparente.
C’est par elle qu’on a un aperçu de ce qui se trame à l’intérieur. Les cultures prennent place sur plusieurs étages, sur 55 m² et dans un environnement automatisé et contrôlé. Jusqu’à pouvoir reproduire le climat d’une région bien différente de celle où le BioPod est installé. Et dans les bacs, pas de terres. « Les racines sont à l’air libre et aspergé d’une solution composé d’eau et de nutriments ».
Le tout est hermétiquement fermé et fonctionne en autonomie. Le BioPod capture le CO2 dans l’environnement alentour pour le mettre au service de la croissance des plantes. Quant à l’eau, « tout ce qui n’est pas utilisé par la plante est récupéré, traité et remis dans le circuit », explique Valentin Feist, responsable communication d’Interstellar Lab. Reste l’alimentation en électricité, un axe sur lequel la start-up continue de plancher. « A ce jour, le BioPod est branché au réseau électrique, mais nous travaillons à un système qui permettra de le rendre autonome de ce point de vue là aussi, avec des sources d’énergies portatives et bas carbone ».

Un BioPod lunaire à l’horizon 2027 ?
Est-ce ce BioPod-là qu’Interstellar Lab espère voir un jour décoller vers la Lune ? « Il y ressemblera pas mal », dit en tout cas Barbara Bebilvisi, en précisant qu’il reste beaucoup de travail pour l’adapter aux contraintes spatiales. Elle évoque un contrat qui lierait Interstellar Lab à la Nasa sur les cinq années à venir en vue de construire ce BioPod Lunaire. Mais sans entrer dans les détails. « Cela fera l’objet d’une autre annonce, plutôt en novembre », indique-t-elle.
Alexis Paillet, du Cnes, l’agence spatiale française, où il est chef du projet Spaceship FR, qui a pour vocation de préparer l’exploration spatiale humaine et robotique, n’a pas connaissance de ce contrat, même s’il sait que Barbara Bellivisi a beaucoup de relations aux Etats-Unis. « Mais comme beaucoup d’autres entreprises spatiales qui travaillent, elles-aussi, sur ces questions de culture du vivant dans l’Espace et participent aux challenges lancés par la Nasa sur le sujet ».
Quant à savoir si Interstellar Lab a pris de l’avance avec son BioPod, Alexis Pailler, là encore, tempère. « Cette première version ne prend aucunement en compte les contraintes spatiales, estime-t-il. On est déjà incapable d’envoyer ce type de modules dans l’Espace. Le design est à revoir aussi. L’une des contraintes à cultiver sur la Lune est de se protéger des radiations. Impossible alors d’avoir un module avec une membrane transparente. »
La Terre avant l’Espace
Bref, il y a encore du travail et surement pour plus de cinq ans. « Mais c’est normal, reprend Alexis Paille. La réflexion commence tout juste et les projets, d’Interstellar comme de ses concurrents, sont encore peu matures. Il est peu probable qu’on ait besoin de ces modules de culture sur la Lune ou Mars avant 2035. »
En attendant, Barbara Bellivisi se tourne vers la Terre, où elle estime que ses BioPod peuvent aussi rendre bien des services. La présidente d’Interstellar liste alors les limites du système agricole mondial actuel. Ses émissions de gaz à effet de serre (de l’ordre de 23 % des émissions mondiales), les surfaces qu’il utilise (40 % des terres de la planète), sa consommation importante d’eau douce…
Ces modules seraient la promesse d’éviter certains de ces impacts. Le recyclage de l’eau et la captation de C02 -une tonne en moyenne par an par an- ne sont pas les seuls avantages qu’Interstellar Lab met en avant. « C’est aussi des hausses de rendement agricoles, moins de surface utilisée, pas de pollutions…, vante Barbara Bellivisi. Et il peut être déployé n’importe où et rapidement. » Reste la question des volumes produits attendus : « Environ cinq tonnes par an en moyenne par BioPod », glisse Barabara Bellivisi. Pas de quoi se substituer aux cultures en pleins champs. Mais ce n’est pas le but. « On n’utilisera jamais un Biopode pour produire de la salade en France », illustre-t-elle.
Dix BioPod à venir en 2023
En revanche, Interstellar Lab a identifié des cas de figure pour lesquels ses modules pourraient s’avérer utiles. Y compris en vue de produire de la nourriture « là où les sols sont trop abîmés ou où l’espace manque », commence Barabara Bellivisi. Interstellar Lab songe aussi aux industries pharmaceutiques et cosmétiques, secteurs qui utilisent de nombreux ingrédients naturels, notamment des plantes qui poussent loin de leurs laboratoires. Dans les douze plantes déjà au catalogue de la start-up figure ainsi la pervenche de Madagascar, cultivée dans les régions tropicales et subtropicales « et qui contient deux molécules utilisées dans le traitement chimiothérapeutique de nombreux cancers », indique Barbara Bellivisi. Enfin, Interstellar Lab n’en oublie pas la recherche scientifique, qui pourrait se servir des BioPods pour conserver des espèces végétales menacées d’extinction ou travailler sur l’adaptation des cultures au changement climatique.
Bref, il y aurait de quoi faire. Barbara Bellivisi dit avoir déjà 200 précommandes de BioPod. « Nous en construirons dix autres en 2023, mais l’idée est d’être très vite en capacité d’en produire 100 par an ». C’est tout le modèle économique d’Interstellar Lab : vendre un maximum de BioPod à des clients « terrestres » pour continuer à rêver d’Espace. Mais là encore, Alexis Paillet demande à voir. « Ce BioPod est très design, mais n’est pas si différents de ce que faisait Agricool (autre start-up française) en cultivant dans des contenairs maritimes reconvertis », pointe-t-il.