Espace : C’est quoi ce satellite espion que l’armée française va bientôt lancer pour surveiller la Terre ?
Il va enfin pouvoir rejoindre CSO 1 et 2. Le satellite CSO (pour Composante spatiale optique) 3 sera lancé le 26 février par Ariane 6 depuis Kourou, en Guyane, a annoncé il y a quelques jours Arianespace.
CSO-3 est le troisième satellite du programme Musis (Multinational Space-based Imaging System), piloté par la Direction générale de l’armement (DGA) et le Cnes (Centre national d’études spatiales), au profit du Commandement de l’espace de l’Armée de l’air et de l’espace. Il s’agit d’une constellation dédiée à l’observation de la Terre à des fins de défense et sécurité.
« Compléter la constellation »
D’une masse de 3,5 tonnes chacun, ces satellites ont été réalisés par Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space pour les instruments optiques, pour un coût de 920 millions d’euros (1,75 milliard d’euros pour l’ensemble du programme).
![Arrivée du satellite CSO-3 au au port spatial européen de Kourou, en Guyane, le 15 janvier dernier.](https://1001infos.net/wp-content/uploads/2025/02/espace-cest-quoi-ce-satellite-espion-que-larmee-francaise-va-bientot-lancer-pour-surveiller-la-terre.jpg)
« Le satellite CSO-3 aurait dû être lancé en 2022, du coup nous attendons avec impatience de pouvoir le lancer pour compléter la constellation, qui est prévue avec trois satellites, sachant que les deux premiers sont déjà en orbite depuis 2018 et 2020 » explique à 20 Minutes l’ingénieur en chef de l’armement Yann, directeur de programme Musis/CSO à la DGA. Les déboires d’Ariane 6 ont en effet retardé de trois ans le lancement de ce troisième satellite.
« Appareils photos géants »
Mais, à quoi servent exactement ces satellites dits « espion » ? « Ce sont des appareils photos géants, permettant de prendre des images de n’importe quel point du globe, à n’importe quel moment, de jour comme de nuit grâce à l’infrarouge », poursuit l’ingénieur en chef de l’armement Yann.
« Les deux satellites déjà en orbite exercent des missions complémentaires de reconnaissance et identification », complète le lieutenant-colonel René, chef du bureau capacitaire satellites d’observation au Commandement de l’espace, en charge du programme Musis/CSO. CSO-1 est ainsi positionné à une altitude de 800 km pour effectuer des missions de reconnaissance (Très haute résolution, THR), ce qui permet des revisites, c’est-à-dire un passage plus rapide, plus fréquent, en tous points de la Terre. CSO-2 est, lui, positionné à une altitude de 480 km, et effectue des missions d’identification avec une extrême haute résolution (EHR) permettant d’avoir des images encore plus précises. CSO-3 sera positionné comme CSO-1, à 800 km, pour renforcer le taux de revisite.
800 clichés par jour
« Les satellites qui sont plus hauts peuvent voir plus de choses en un passage, mais ils sont moins précis en matière de résolution, ajoute l’ingénieur en chef de l’armement Yann. Pour améliorer la résolution, il faut descendre au plus bas que l’on peut, sans frotter sur l’atmosphère, et améliorer la technologie, qui progresse à chaque génération. »
Capables de réaliser quelque 800 clichés par jour à une vitesse de 25.000 kilomètres/heure, les satellites CSO seraient ainsi sans équivalent en Europe. CSO-2, celui positionné sur l’orbite la plus basse, étant même « l’appareil photo le plus puissant jamais construit en Europe » déclarait à son lancement le PDG de Thales Alenia Space. La résolution (taille du plus petit élément observable) est de l’ordre d’une trentaine de centimètres pour les satellites THR, tandis qu’elle est « classifiée » pour le satellite EHR, mais serait d’une vingtaine de centimètres, avancent certains spécialistes.
Des satellites « opérés par des militaires, pour des opérations militaires »
Les satellites du programme Musis sont dédiés à des missions très spécifiques. « Le système CSO contribue avec d’autres moyens à apporter du renseignement, c’est-à-dire la fonction stratégique de connaissance et anticipation : avoir une meilleure connaissance des crises à travers le monde pour pouvoir agir plus rapidement, assure le lieutenant-colonel René. Dans le détail, cela permet d’apporter du renseignement, en appui aux opérations militaires, et être dans un bon tempo pour les mener sur le théâtre de guerre. Ensuite, cela fournit des données sur la géographie, pour élaborer les cartes nécessaires à l’évolution de nos forces terrestres, notamment quand elles sont déployées sur des théâtres inconnus. » Les satellites peuvent aussi être amenés à vérifier le respect de traités de désarmement ou de non-prolifération
A ceux qui s’interrogent sur les questions liées au respect de la vie privée des citoyens, le lieutenant-colonel René soutient que « ces satellites sont opérés par des militaires, pour des opérations militaires, et absolument rien d’autre ». Ce qui ne les empêche pas d’être amenés à surveiller des cibles civiles si cela s’avère nécessaire.
« L’Espace, un champ de bataille qui prend de plus en plus d’ampleur »
Ces satellites qui opèrent pour des missions de renseignement et de surveillance le font en complément de ce que les avions ou les drones peuvent apporter. « L’engin spatial évolue à des altitudes qui lui permettent d’être en relative protection, même si ce qui était vrai hier ne l’est plus forcément au regard de l’évolution des menaces » explique le lieutenant-colonel René.
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« De nombreuses menaces contre les satellites se sont effectivement avérées, particulièrement récemment avec le conflit en Ukraine, ajoute l’ingénieur en chef de l’armement Yann. Les trois domaines de conflictualité, qui étaient auparavant terre, air, mer, sont dorénavant complétés par le cyber et l’Espace, l’Espace étant un champ de bataille qui prend de plus en plus d’ampleur. »
Lancement sous haute surveillance
Musis est le troisième programme militaire d’observation de la Terre. « Les deux premiers étaient Helios I et II, lancés en 1995-1999 puis en 2004-2009, rappelle l’ingénieur en chef de l’armement Yann. Musis est ainsi la troisième génération de satellites. » Une quatrième génération est en préparation pour remplacer les CSO à l’horizon 2030 [dans le cadre d’un programme appelé Iris], sachant que la durée de vie prévue pour les satellites CSO est de dix ans.
Le lancement de CSO-3 le 26 février est d’autant plus important qu’il sera effectué par un lanceur européen, Ariane 6, dont ce sera le premier vol commercial après son vol inaugural le 9 juillet dernier. En 2018 et 2020, les CSO 1 et 2 avaient été envoyés dans l’espace via… le lanceur russe Soyouz, ce qui peut interroger quant à d’éventuels risques d’espionnage, même si les lancements avaient été effectués depuis le pas de tir de Kourou, en Guyane. La coopération spatiale avec la Russie a depuis été suspendue en raison de la guerre en Ukraine.
Aujourd’hui, « nous sommes très contents de profiter d’Ariane 6 pour envoyer CSO-3 en orbite, et du retour de l’Europe dans la souveraineté de l’accès à l’Espace » se contentent de commenter les deux militaires interrogés. S’agissant d’un satellite militaire, ce lancement est considéré comme particulièrement sensible et se fera sous haute surveillance de l’Armée de l’air, qui devrait déployer sur place des avions de chasse Rafale pour sécuriser le pas de tir de Kourou.