France

Escroqueries : Comment la plateforme Thésée permet d’enquêter sur des affaires qui passaient « sous les radars »

Jusqu’à l’année dernière, les mésaventures récemment vécues par 87 passionnés de jeux de société seraient sans aucun doute passées sous les radars des services de police. Tous ont acheté sur un site de revente, des jeux d’occasion. Certains ont versé 20 euros, d’autres 50, rarement plus. Mais aucun n’a reçu l’objet convoité. Ou alors en si mauvais état qu’il en était inutilisable. Et lorsque les uns et les autres ont tenté de recontacter le vendeur, celui était aux abonnés absents. « Avant, il n’y avait quasiment jamais d’enquêtes sur ces petites arnaques, tout simplement parce que c’était impossible », estime la commissaire-divisionnaire Cécile Augeraud, à la tête de l’OCLCTIC, l’office de police judiciaire chargé de la lutte contre la cybercriminalité. Dans cette affaire, le préjudice estimé n’est pourtant pas négligeable : le vendeur aurait empoché près de 7.000 euros.

Dans ce dossier, comme dans beaucoup du même acabit, les enquêteurs faisaient face à une double difficulté. D’abord, celle de recenser les victimes, car rares sont celles à se déplacer pour porter plainte pour quelques dizaines voire centaine d’euros perdus. Ensuite, même lorsqu’ils prenaient le temps de pousser la porte d’une gendarmerie ou d’un commissariat, que leur plainte était transmise au parquet, celle-ci finissait immanquablement par être classée sans suite. « On ne peut pas mobiliser des enquêteurs pour une arnaque isolée avec un faible préjudice, explique le commissaire-divisionnaire. En revanche, si on recoupe les différentes escroqueries, on mesure mieux l’ampleur du phénomène et on peut travailler beaucoup plus efficacement dessus. »

Des arnaques qui varient au fil des saisons

C’est dans cette optique qu’a été lancée l’an dernier Thésée*, plateforme en ligne dédiée aux escroqueries sur Internet. En un an, plus de 68.000 plaintes et 16.500 signalements ont été recueillis, si bien que le nombre d’enquêteurs de l’OCLCTIC dédiés est passé de 15 à 32 en quelques mois. Dans plus de la moitié des cas, les arnaques s’appuient sur de faux sites de vente ou de faux vendeurs. Et selon les saisons, elles portent sur l’aménagement intérieur, l’électroménager, les salons de jardins ou les barbecues. Les locations saisonnières représentent également 10 % des signalements.

Au fil de leurs investigations sur ces « petites arnaques », les enquêteurs ont découvert des réseaux particulièrement organisés, certains implantés en France, d’autres agissant depuis l’étranger, notamment en Afrique de l’Ouest. « Certains faux sites de vente sont vraiment extrêmement trompeurs, avec de faux avis en ligne, des faux commentaires qui relèvent d’un certain professionnalisme », note Cécile Augeraud. Et plus l’arnaque est finement montée, plus le nombre de victimes est important.

Récemment plus de 1.350 personnes se sont fait avoir en commandant sur un faux site d’ameublement. Préjudice total estimé : 800.000 euros. D’où l’importance des recoupements entre les dossiers. « La plateforme est conçue avec un outil d’analyse qui recoupe automatiquement toutes les plaintes ou signalements. Ça crée des « matchs » entre les différents dossiers », précise la chef de l’office.

Arnaques à la romance

Ces recoupements s’effectuent également sur des affaires beaucoup plus sensibles, notamment les escroqueries à la « romance » : des malfaiteurs séduisent un homme ou une femme, souvent isolé, pour leur soutirer de l’argent. Vingt-trois dossiers sont en cours d’investigation. Préjudice moyen : 150.000 euros mais dans certains cas, les montants sont encore plus vertigineux. Dans un des dossiers, par exemple, la victime s’est fait dépouiller de 711.000 euros. « Ce sont des personnes qui vont vendre tous qu’elles ont, parfois effectuer des prêts, pour répondre aux demandes d’hommes ou de femmes qui les manipulent, savent jouer sur la corde sensible, la maladie ou l’impossibilité de venir rejoindre l’être aimé », insiste la commissaire-divisionnaire.

Derrière leur écran, les escrocs se trouvent la plupart du temps à l’étranger, avec parfois des relais dans l’Hexagone. L’office a actuellement plusieurs dossiers en cours dans lesquelles plusieurs victimes d’une même personne ont été identifiées. « Il y avait déjà des investigations dans ces dossiers avec de forts préjudices, mais la plateforme a permis à de nouvelles victimes de porter plainte », explique Cécile Augeraud. Car dans ces dossiers, dans lequel le préjudice moral est à la hauteur du préjudice financier, certains sont mal à l’aise à l’idée de raconter leur histoire et comment ils se sont fait avoir.

Le constat est le même dans les affaires de chantage, notamment lorsqu’elles portent sur des photos ou vidéos à caractère érotique. « La plainte en ligne est un plus, indéniablement, estime la chef de l’OCLCTIC. Mais lorsqu’on sent un vrai mal-être, les plaignants sont systématiquement recontactés. » C’est même la règle lorsque les victimes sont mineures : ces derniers ne peuvent pas porter plainte mais leurs signalements sont pris en compte et des enquêtes ouvertes. « On essaye, lorsqu’on a des adolescents, de les pousser à en parler à leurs parents pour qu’ils aillent porter plainte avec eux et surtout qu’ils ne s’isolent pas ».

* Pour porter plainte ou signaler une infraction en ligne sur la plateforme Thésée, cliquez ici