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Enfant soldat : « Mon ami est mort sous mes yeux », témoigne Sekpo, enrôlé de force au Soudan du Sud

«J’ai couru, couru, mais ils ont réussi à me rattraper. » Sekpo Pkeo* n’avait que 10 ans, lorsqu’il a été enlevé par un groupe armé et enrôlé comme enfant soldat en 2014, au Soudan du Sud. Le jeune homme de 21 ans a raconté son histoire à 20 Minutes, à l’occasion de la journée internationale. Sekpo a eu du mal à se frayer un chemin dans les rues de Yambio, jusqu’au point de rendez-vous téléphonique.

Le Sud-Soudanais a bénéficié d’un programme de l’ONG World Vision pour se réadapter, après cinq ans au sein d’un groupe armé, mais au Soudan du Sud, la violence reste omniprésente. Dans la nuit, de nouveaux affrontements armés ont réveillé les habitants et des hommes armés continuent à déambuler dans les rues. Sekpo Pkeo est malheureusement habitué à ce type de violence.

Sekpo Pkeo, 21 ans, est un ancien enfant soldat qui bénéficie du programme de soutien à la réinsertion de l'ONG World Vision à Yambio, au Soudan du Sud, le 12 février 2025.
Sekpo Pkeo, 21 ans, est un ancien enfant soldat qui bénéficie du programme de soutien à la réinsertion de l’ONG World Vision à Yambio, au Soudan du Sud, le 12 février 2025.  - World Vision

« Je ne pouvais pas m’enfuir »

En 2014, celui qui n’était alors qu’un petit garçon entend des rumeurs selon lesquelles un groupe armé kidnappe des enfants dans la région. A la tombée du jour, Sekpo quitte sa maison, accompagné d’amis, pour se cacher dans la forêt. « Un soir, nous avons été pris en embuscade. J’ai couru, couru, mais ils ont réussi à me rattraper », se souvient le jeune homme qui ajoute que sur les quatre enfants, il est le seul à être tombé entre les mains du groupe armé.

« Ils m’ont attrapé, m’ont attaché les mains dans le dos et m’ont emmené. Pendant trois mois, ils m’ont gardé en détention », se souvient-il. Ensuite, ses ravisseurs décident de l’entraîner au combat. « Ils m’ont donné une arme et ils m’ont appris à la manier mais j’étais surveillé de très près, je ne pouvais pas m’enfuir », glisse-t-il. Au quotidien, Sekpo n’interagit pas avec d’autres enfants, délibérément isolés les uns des autres.

Des enfants séparés et menacés

« On n’était pas tous gardés au même endroit à cause de « l’incident ». C’est quand plusieurs enfants se sont enfuis ensemble. A cause de « l’incident » et pour éviter que ça ne se reproduise, ils ne voulaient pas nous mélanger », explique Sekpo. Le jeune garçon réussit toutefois à se faire des amitiés lors des opérations, ces raids sur lesquels il est envoyé. Souvent, Sekpo doit participer à des embuscades de véhicules ou à des pillages de propriétés privées.

Les enfants lient ces « opérations armées » aux retrouvailles avec leurs amis mais aussi à l’obtention de nouveaux objets. « On pouvait ramener des choses de ces pillages. Ces objets me donnaient un peu de confort et me procuraient beaucoup de bonheur mais, au camp, ils menaçaient régulièrement de nous les reprendre », explique Sekpo. Même si le manque de liberté est total, le Sud-Soudanais explique que la plupart des enfants « ne se rendent pas compte que la vie est meilleure à la maison », même s’ils savent que certains d’entre eux meurent en mission.

« Mon ami est mort sous mes yeux »

Après quelques années à servir ce groupe armé, Sekpo part en opération avec son meilleur ami. Les deux garçons, alors préadolescents, sont envoyés en mission mais ils tombent dans une embuscade. « On a réussi à s’enfuir sans être tués. Mais on a ensuite passé des heures à errer dans la forêt, affamés. Mon ami a vu un manguier et on s’est approché pour manger. Malheureusement, une autre embuscade nous y attendait. Ils ont tiré et mon ami est mort sous mes yeux », se souvient Sekpo.

Traumatisé par cet évènement, le Sud-Soudanais décide de s’enfuir. Quelques semaines plus tard, il saisit l’opportunité d’une mission pour quitter la forêt et se rendre en ville. Il retrouve sa famille qui est soulagée de le voir en vie, cinq ans après son kidnapping. Depuis, le jeune homme a reçu une formation de mécanicien de groupes électrogènes. « La vie n’est pas tous les jours facile mais je la préfère largement à celle que j’ai vécue dans la forêt », assure Sekpo qui confie toutefois être toujours hanté par son passé d’enfant soldat.

* Le nom a été changé