En prison pour quelques jours : Darmanin peut-il copier le système néerlandais ?
«Plus de places de détention pour les petites peines », des établissements pénitentiaires « à taille humaine », une volonté d’exécuter à tout prix « les peines courtes », voici une partie des objectifs annoncés par Gérald Darmanin, nouveau ministre de la Justice, en visite à Amiens ce 25 décembre. Une manière de répondre à la « soif de justice » des Français selon lui.
Une référence au modèle carcéral de nos voisins hollandais, où même des peines de quelques jours sont effectuées en prison ? Un fonctionnement qui inspire les camps de la droite en France. En augmentant le nombre de prisonniers, les défenseurs de l’intransigeance affirment pouvoir répondre aux défis qui touchent le système judiciaire français.
Un système unique, difficilement transposable
Jusqu’à présent, les courtes peines ont toujours été évitées en France. Déjà en 1898, le juriste français Raymond Saleilles écrivait qu’elles « ne duraient pas assez longtemps pour moraliser et déjà trop pour ne pas corrompre. »
Vu comme le dernier recours en France, l’emprisonnement est utilisé aux Pays-Bas plutôt comme une prévention, avant l’immersion croissante dans la délinquance. En conséquence, la durée moyenne d’emprisonnement aux Pays-Bas se situe autour de deux à trois mois, contre dix mois en France.
Pour autant, impossible de comparer aussi simplement les deux systèmes. Les types de peines utilisés ne sont pas les mêmes. Prenons l’exemple des travaux d’intérêts généraux. Ils représentent aux Pays-Bas 30 % des peines prononcés selon le juriste Guillaume Jeanson, contre 4 % en moyenne en France. Une mesure très peu utilisée par les juges français, que regrette Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.
« La prison ne doit pas être la reine des peines. » Utiliser ce que permet notre système carcéral avant de vouloir le réinventer est essentiel selon elle.
Des prisons déjà surchargées
Créer de nouvelles places de prison, une obsession de l’ensemble des ministres de la Justice pour répondre à la surpopulation carcérale. Pour Dominique Simonnot, il faut voir le problème à l’envers : « Dans l’état actuel des prisons, il est impossible de mettre ces nouvelles idées en place sans vider les prisons qui sont pleines à craquer. »
Au-delà de la simple question des lits, la contrôleuse générale alerte sur l’accompagnement et la surveillance des détenus. « Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), essentiels pendant et après la peine d’emprisonnement, sous en sous-effectifs. Nous avons deux fois moins d’agents que la moyenne européenne. »
Le problème est le même pour les 6 000 surveillants manquants selon elle, obligeant les détenus à repousser indéfiniment des rendez-vous médicaux et des activités parce que personne n’est en capacité de les accompagner, même au sein de la prison. Un enfer que partagent détenus et surveillants, « abandonnés tout autant » par les pouvoirs publics.
Construire de nouvelles prisons ?
Avec 62 000 places pour 79 000 détenus actuellement, où loger ces nouvelles peines courtes d’emprisonnement ? On sait que la construction de nouvelles prisons est extrêmement compliquée, l’Etat ayant du mal à trouver des terrains adéquats sans résistance locale. Pour contourner ce problème, Gérald Darmanin parlait ce mercredi de prisons plus modestes « sans murs ni barbelés ».
Ce modèle de prison ouverte, très répandu dans les pays nordiques, est rare en France. On peut citer notamment la prison de Casabianda, en Corse, qui habite une exploitation agricole sur laquelle les détenus travaillent.
Une bonne nouvelle pour Dominique Simonnot, mais qui reste sceptique face aux nouvelles idées du gouvernement : « Créer de nouvelles structures plus humaines, c’est toujours une bonne chose, mais je ne crois à rien tant que je ne l’ai pas vu. Il est facile d’être échaudé par les promesses et les petites phrases. »
Elle prend l’exemple de la volonté affichée par Gérald Darmanin de supprimer le trafic de drogue au sein des prisons qui révèle selon elle l’hypocrisie de la question. « En prison, les saisies sont prudentes et parcimonieuses. Si la drogue disparaît des cellules et qu’on laisse les détenus dans ces conditions de vie, les prisons exploseront. »
Des services d’enquêtes et de justice à bout de souffle
Comment réclamer une plus grande exécution des peines sans prendre en compte les difficultés que traversent la police d’investigation et la justice ?
Aujourd’hui, de nombreuses affaires sont classées sans suite par manque de temps, de personnel, participant à l’allongement des délais entre le délit commis et la peine prononcée. Un temps long qui participe à décrédibiliser les décisions de justice.
Dans l’Envoyé Spécial du jeudi 24 octobre 2024, « Les naufragés de la justice », nos confrères de France Télévisions révélaient l’existence d’une circulaire incitant les procureurs à multiplier les classements sans suite dans le cas des affaires n’ayant fait l’objet d’aucune investigation depuis au moins un an. L’objectif : faire baisser le « stock » d’affaires en cours, qui représentait l’année dernière plus d’un million de procédures.
Un terme bien connu par les services de police judiciaire, chargés d’enquêter sur ces affaires. Manque de moyens, de personnel, demande de simplification de la procédure pénale, ces policiers assurent ne plus pouvoir faire leur travail. Laurent Vitillo, référent investigation en Nouvelle-Aquitaine pour le syndicat Alliance, a dans son bureau « des centaines de dossiers en attente, des piles de pochettes qui grimpent aux murs » dont il n’arrivera sûrement jamais à voir le bout. Des montagnes de procédures qui seront en majorité classées sans suite, de quoi démoraliser ces policiers noyés par la paperasse.
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Si Gérald Darmanin affirme vouloir attribuer des moyens supplémentaires dans tous ces services, les difficultés budgétaires que traverse le pays risquent d’entraver de potentielles réformes, livrant à eux-mêmes détenus, surveillants, juges et policiers.