En France, le privé réinvente les auberges de jeunesses

Pour qui a voyagé jeune (ou pas) à l’étranger, difficile de n’être pas passé par une auberge de jeunesse. Ou plutôt « hostel », comme cela se dit en anglais et « globish », cette langue de l’internationale du voyage (entre autres). En France, le secteur d’activité traditionnellement occupé par le milieu associatif et héritier des années Front populaire et des premiers congés payés, connaît actuellement un vif intérêt d’acteurs privés qui entendent dépoussiérer le modèle.

A croire que ces hébergements collectifs, bon marché, réputés conviviaux, manquaient cruellement dans le pays accueillant le plus de touristes au monde. Un constat qu’a pu faire Guilhem, un Marseillais de 28 ans cherchant actuellement à réunir des fonds pour ouvrir son auberge en ville. « Je reviens de six mois à Porto, où j’ai travaillé dans un hostel pour me faire la main. Là-bas, il y en a 30 alors qu’à Marseille il y a seulement trois auberges », a calculé le jeune entrepreneur. S’il se démène entre crowdfunding et business model pour qu’une banque le suive, des groupes à la puissance financière sans commune mesure se sont mis sur le filon. A l’image de l’hôtelier Grape Hospitality qui a lancé sa chaîne The People Hostel (dont un vient d’ouvrir à Marseille) ou d’Accor qui via sa filiale Jo & Joe déboule dans le marché.

Instagrameur, urbain, fêtard, la sainte trinité

« C’est parti de la réflexion qu’il y avait une population, la génération des millénials, qui était peut-être en train de rater notre marché », introduit François Leclerc, directeur de la marque. Une génération Instagram, qui aime son confort, fêtarde, urbaine. Avec six établissements créés en trois ans, dont deux à Paris et une à Hossegor (plus Rio, Medellín, Vienne) et trois ouvertures en 2023, le groupe dessine des auberges au style urbain, postindustriel, avec un design et une décoration soignée.

« On a dupliqué le concept des auberges de jeunesse en s’adaptant. On propose aussi des chambres individuelles, nos dortoirs comptent quatre, six, huit lits au maximum avec une salle de bains dans chacune d’elles et une cabine pour se changer ». Mais surtout le changement de paradigme économique, avec un prix du lit autour de 40 euros, pas poussé au plus bas. Environ 35 % du chiffre d’affaires de la marque se fait sur le bar et la restauration. Avec une ouverture sur le voisinage. « On fait des concerts, des habitants viennent pour les afterworks. L’idée est qu’il s’y passe toujours quelque chose et d’en faire d’abord un lieu de vie », résume François Leclerc.

« Un besoin à combler, et de l’argent à se faire »

Un dépoussiérage du genre qui n’inquiète pas les acteurs historiques. Pour David Le Carré, président de la Fédération unie des auberges de jeunesses (Fuaj, qui représente 80 auberges), ils ne poursuivent pas « les mêmes objectifs. A l’origine, les auberges de jeunesses sont un projet politique ».

Déployé en lien avec les communes et les collectivités territoriales, les auberges de jeunesses dans leur format classique, héritières du front populaire, travaillent essentiellement avec des randonneurs, des publics associatifs et scolaires. « Nous n’avons pas la même clientèle et les deux projets vont cohabiter », estime-t-il. « Mais ils viennent prendre une place laissée libre par la perte de 60 % des hébergements collectifs entre 2013 et 2019 », étaye David Le Carré pour qui, il y avait « un besoin à combler, et de l’argent à se faire ».

A mesure que le secteur de l’hébergement collectif sauce XXIe siècle se développe sous la houlette du privé, la législation se structure. En septembre 2020, au détour de la loi de Finance a été créée la catégorie « auberges collectives » pour y appliquer une taxe de séjour spécifique. Depuis novembre de cette année, ces offres d’hébergement peuvent aussi demander à un classement spécifique au même titre que les gîtes et autres chambres d’hôtes, par exemple.