France

En faisant pression sur la LDH, Gérald Darmanin « menace notre démocratie »

Simple nouveau dérapage de Gérald Darmanin ou vraie menace pour les organisations de défense des libertés fondamentales ? Interrogé mercredi soir au Sénat sur sa gestion du maintien de l’ordre lors des dernières manifestations, le ministre de l’Intérieur s’est exprimé au sujet de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et ses financements : « Je ne connais pas les subventions données par l’Etat mais (…) je pense que ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qu’ils ont pu mener. »

Une menace à peine déguisée du « premier flic de France » contre une association qui observe et signale les faits de violences commis par les autorités notamment lors de manifestations. Son rôle est de garantir le respecter des libertés fondamentales et l’application des droits humains. Alors, pour Eugénie Mérieau, maîtresse de conférences en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et autrice de La dictature, une antithèse de la démocratie ? (Cavalier Bleu) contactée par 20 Minutes, cette phrase « est très préoccupante pour nos libertés. »

Un discours gênant pour le ministre de l’Intérieur

C’est loin d’être la première fois qu’une sortie de Gérald Darmanin provoque un tollé. Le ministre de l’Intérieur qui « s’étouffe » lorsqu’il entend parler de violences policières et condamne le « terrorisme intellectuel » ne semble accepter aucune critique sur sa gestion du maintien de l’ordre et de la police en général. Or la Ligue des droits de l’Homme met des bâtons dans les roues du discours tenu par l’Intérieur, dernièrement en ce qui concerne les violences à Sainte-Soline qui se sont conclues par deux personnes dans le coma, côté manifestants. « Sur ce sujet, il aligne les contre-vérités nous concernant », interprète ainsi Patrick Baudouin, le président de la LDH, interrogé par Libération. La LDH a par exemple dénoncé le retard pris pour secourir les blessés graves, ce qu’a démenti le ministre de l’Intérieur. L’association dénonce par ailleurs régulièrement des violences policières lors de manifestations ou des « arrestations préventives. » Gêné par ce contre-discours, Gérald Darmanin paraît donc menacer les subventions de l’association.

La LDH participe à la défense de la liberté de manifester, en ces temps de contestation contre la réforme des retraites, en faisant des recours devant le juge administratif pour faire annuler des interdictions de rassemblement. « Le juge lui donne d’ailleurs souvent raison », pointe Eugénie Mérieau. Dans le même temps, Gérald Darmanin et l’ensemble du gouvernement dénoncent des manifestations « illégales », mais « elles ne le sont pas », martèle Eugénie Mérieau.

La LDH elle-même a répondu au ministre de l’Intérieur sur les réseaux sociaux, soulignant que « « les actions qui ont pu être menées » par la LDH depuis plus de 120 ans sont la défense des droits et libertés de toutes et tous, ne vous en déplaise, en particulier la défense de la liberté de manifester mise à mal par votre politique de maintien de l’ordre. »

Un rôle essentiel pour garantir l’état de droit

La LDH « c’est un garde-fou, c’est la principale association de défense des droits de l’Homme, elle participe de la vitalité de notre régime d’Etat de droit », rappelle Eugénie Mérieau. « C’est une association très reconnue à l’internationale et très importante pour faire respecter les droits humains, c’est son travail de critiquer les autorités et c’est pareil dans tous les pays », renchérit Anne-Sophie Simpere, coautrice de Comment l’Etat s’attaque à nos libertés ? (Plon), contactée par 20 Minutes.

Pour la maîtresse de conférences en droit public, « le gouvernement est ainsi en train de prendre un tournant illibéral, il remet en cause les grandes lois de la IIIe République et montre une volonté de s’attaquer à toute forme de contestation, c’est une attaque contre la société civile. C’est très préoccupant pour l’état de nos libertés en France. »

La France serait même en train de basculer vers davantage de contrôle de la société civile. « Depuis la IIIe République, on est dans un régime de déclaration. En ce moment, on bascule dans un régime d’autorisation, il faut aller devant le juge pour contester une interdiction de manifester ! », s’insurge encore Eugénie Mérieau dénonçant un « rapprochement avec les régimes illibéraux comme la Russie, la Hongrie ou Israël… »

Glissement de la loi sur le séparatisme

« Qu’est-ce qu’un Etat qui ne tolère pas d’être critiqué par une organisation de défense des droits humains ? C’est une vraie menace contre notre démocratie dans un contexte d’accumulation d’attaques contre des associations », alerte encore Anne-Sophie Simpere. Cette petite phrase d’une grande ampleur « renvoie aux conséquences de la loi séparatisme », analyse-t-elle. En 2021, cette « loi confortant le respect des principes de la République » est adoptée dans l’objectif de « renforcer la laïcité » faisant suite à l’assassinat de Samuel Paty.

Elle prévoit un contrat d’engagement républicain (CER) pour les associations subventionnées par l’Etat ou toute autorité administrative, dans lequel il est notamment indiqué « l’interdiction d’entreprendre ou d’inciter à toute action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. » Des notions larges et qui ont déjà été utilisées contre d’autres associations, comme le mouvement citoyen de désobéissance civile Alternatiba, qui n’a pourtant rien à voir avec l’islam radical.

« Depuis les dernières lois sécuritaires, comme cette loi séparatisme, on remet en cause le droit d’association », alerte Eugénie Mérieau. Et la menace est réelle : « Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a été le premier à être dissous après des petites phrases de Gérald Darmanin », se souvient la maîtresse de conférences en droit public. Une dérive qui remonte même, selon elle, depuis l’Etat d’urgence.