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« Emilia Pérez » : Karla Sofía Gascón a-t-elle définitivement grillé le film aux Oscars ?

C’est fini pour Karla Sofía Gascón. La comédienne transgenre récompensée à Cannes avec ses partenaires Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz pour Emilia Pérez de Jacques Audiard, a perdu toutes ses chances de gagner aux Oscars qui seront décernés le 2 mars prochain (le 3 mars si on tient compte du décalage horaire avec Los Angeles).

Nommée pour sa prestation dans cette comédie musicale aux chansons écrites par Camille et Clément Courcol, elle semblait bien partie pour être couronnée avant qu’une polémique vienne tuer dans l’œuf toutes ses chances de victoire tout en entraînant dans sa chute le film postulant pour treize statuettes (soit trois de plus que The Artist en 2012).

Qui est Karla Sofía Gascón ?

Cette comédienne espagnole née en 1952 s’est surtout illustrée à la télévision avant de connaître son premier succès international avec Emilia Pérez. Elle y incarne un narcotrafiquant mexicain qui change de vie après sa transition. Cette histoire trouve un écho dans la vie de l’actrice qui avait annoncé sa propre transition en 2018. Elle en raconte les détails dans son autobiographie : « Karsia, Una historia extraordinaria ». A Cannes, Jacques Audiard racontait comme elle l’avait aidé à concevoir le personnage et comment elle avait courageusement tenu à l’interpréter sous son apparence masculine.

La polémique et la débandade

La réapparition d’anciens tweets racistes et islamophobes de Karla Sofía Gascón a fait l’effet d’une bombe. Parmi eux, un tweet de 2017 où elle écrivait : « L’islam est devenu un foyer d’infection pour l’humanité » et un autre de 2020 où elle traitait George Floyd, homme noir tué par un policier, « d’escroc toxicomane ». Refusant catégoriquement de se faire aider par des professionnels de la communication pour enrayer la crise, l’actrice a continué à s’enliser. « J’ai été jugée, condamnée, sacrifiée, crucifiée et lapidée sans procès et sans possibilité de me défendre. En tant que personne issue d’une communauté marginalisée, je connais trop bien cette souffrance et je suis profondément désolée envers ceux à qui j’ai fait du mal », a-t-elle déclaré sur CNN.

Cela n’a pas suffi à sauver Karla Sofía Gascón bien qu’elle se prétende victime d’une « campagne de haine » et qu’elle ait supprimé son compte X à la demande sa famille. Netflix, qui distribue le film aux Etats-Unis, l’a carrément enlevée de l’affiche du film sur les réseaux sociaux et ne finance plus sa campagne pour les Oscars. Karla Sofía Gascón ne se rendra donc pas aux American Film Institute Awards jeudi prochain, ni aux Critics’Choice Awards le lendemain ni aux Producers Guild Awards samedi. Le Festival international du film de Santa Barbara, où elle devait recevoir un prix d’honneur aux côtés de Selena Gomez, l’a également déclarée « persona non grata ».

Un cas sans précédent

Les Oscars ont certes connu leur lot de scandales avant cette affaire. Sur scène, la fausse annonce d’un Oscar pour La La Land en 2017 alors que c’est Moonlight qui avait gagné la statuette, la gifle de Will Smith à Chris Rock en 2022 ou Marlon Brando envoyant une Amérindienne chercher son trophée pour Le Parrain en 1973 ont fait couler beaucoup d’encre.

Dans les coulisses, la campagne agressive pour faire gagner Shakespeare In Love de John Madden contre le grand favori. Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg ou La Ligne rouge de Terrence Malick a aussi fait jaser. Mais c’est première fois qu’il est question de supprimer purement et simplement un artiste de la liste des nommés. Même Gérard Depardieu, qui avait affirmé avoir participé à des viols quand il était gamin au Times américain, n’a pas été radié en 1991. Il a juste perdu l’Oscar pour Cyrano au profit de Jeremy Irons pour Le Mystère Von Bülow.

Trop tard pour Emilia

Bien que Zoe Saldana ait pris ses distances avec sa partenaire, il est probable que ses chances de remporter l’Oscar du meilleur second rôle se soient envolées, tout comme celles de toute l’équipe d’Emilia Pérez. On ne peut que déplorer que l’affaire Karla Sofía Gascón vienne torpiller leurs chances, d’autant que d’autres critiques avaient aussi émergé sur le film, arguant une représentation faussée du Mexique. Même si le scrutin est anonyme, on imagine mal des votants se mobiliser pour l’actrice et pour le film. Il est aussi probable que le scandale s’étendra jusqu’aux César où le film de Jacques Audiard a reçu douze nominations.

Il est trop tard pour Emilia Pérez dont on se demande bien comment Netflix et la maison Saint-Laurent, coproductrice du film, ont pu laisser passer un tel scandale. On est autorisé à penser que les studios ont pris la mesure de l’impact des publications passées de leurs talents sur les réseaux sociaux. Des équipes dédiées à ce seul souci auraient même été engagées pour éplucher les comptes des artistes. La question qui se pose maintenant à Hollywood est « à qui va profiter le scandale ? »