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Emeutes à Los Angeles : L’envoi de l’armée par Donald Trump « est une déclaration de guerre politique »

La rupture est actée entre la Californie et l’administration Trump. Sur fond de divergences politiques profondes, le président républicain des Etats-Unis et le gouverneur de l’Etat démocrate, sortent les griffes. Face à des manifestations contre la police fédérale de l’immigration (ICE), majoritairement pacifiques, Donald Trump mise sur le tout sécuritaire et emploi les très gros moyens : la mobilisation de l’armée.

Après avoir sollicité 2.100 membres de la Garde nationale, le chef d’Etat américain a renforcé son arsenal en déployant à Los Angeles 2.000 membres supplémentaires de cette garde, et surtout 700 militaires du corps des Marines, « une dangereuse bêtise », juge Denis Lacorne, chercheur émérite à au Ceri de Sciences Po et auteur du livre De la race en Amérique.

Un « fantasme […] dictatorial »

C’est la première fois depuis 1992 que les militaires sont appelés à la rescousse face à des manifestants. Il y a trente-trois ans, George Bush père avait invoqué l’« Insurrection Act », loi qui l’autorise à déployer l’armée sur le territoire national pour mettre un terme aux troubles civils, à l’insurrection et à la rébellion.

Ce que n’a pas fait Donald Trump. Il s’est appuyé sur l’article stipulant que « lorsque le président n’est pas en mesure, avec les forces régulières, d’exécuter les lois des États-Unis, […] il peut appeler au service fédéral des membres et des unités de la Garde nationale de tout État en nombre qu’il juge nécessaire pour exécuter ces lois », stipule la loi américaine.

Cette disposition est normalement utilisée quand « de graves circonstances » l’exigent, comme « en temps de guerre », développe Jeffrey Hawkins, ancien ambassadeur américain, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et enseignant à Sciences Po. « Le fait que Donald Trump s’en serve pour répondre à des manifestations qu’on ne peut même pas qualifier d’émeutes, c’est une déclaration de guerre politique », estime-t-il. Cela a d’ailleurs été dénoncé comme le « fantasme fou d’un président dictatorial », par le gouverneur Gavin Newsom.

Un combat politico-médiatique

Cette « hypermilitarisation » de la situation servirait finalement à « faire oublier les autres problèmes qui occupent la Maison-Blanche comme la corruption du clan Trump ou le clash avec Elon Musk… », analyse le chercheur émérite au Ceri. Ce dernier note d’ailleurs une réaction de Donald Trump disproportionnée par rapport à son laisser-faire lors de l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021 ou les rassemblements des suprémacistes blancs à Charlottesville en 2017. Deux épisodes qui ont pourtant occasionné des morts.

La cible de l’administration Trump c’est donc le camp politique adverse, ceux qu’il traite de « woke ». Le président républicain a d’ailleurs déjà menacé de couper le financement fédéral de la Californie. Lors des ravageurs incendies de ce début d’année, Donald Trump s’en était déjà pris au gouvernement Gavin Newsom.

De son côté, l’Etat californien n’a pas beaucoup d’armes dans son arsenal pour contrer les initiatives présidentielles. Si le gouverneur a menacé de ne plus payer les factures du gouvernement fédéral, alors que son Etat est l’un des plus riches du pays, Denis Lacorne ne croit pas à la possibilité d’exécuter cette menace. Restent les tribunaux. Gavin Newsom a ainsi porté plainte et demandé à la justice d’annuler la fédéralisation de la Garde nationale californienne. « Cela prendra du temps, et ce sera probablement inutile », tacle le chercheur.

Des craintes de dérapages

Selon le décret publié par la Maison-Blanche, les quelque 4.000 militaires ont une mission précise : « protéger temporairement le personnel de l’ICE et d’autres membres du gouvernement des États-Unis qui exercent des fonctions fédérales, y compris l’application de la loi fédérale, et pour protéger les biens fédéraux ».

Mais, si la mission est limitée dans les actions, elle ne l’est pas dans l’espace. « Dans ce texte, il n’y a aucun Etat mentionné ce qui ouvre la possibilité d’être utilisé ailleurs par la suite, fait remarquer Jeffrey Hawkins, si d’autres villes démocrates se mobilisent à leur tour contre les agents de l’ICE par exemple » alors que des accrochages ont été également rapportés à New York ainsi qu’au Texas.

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L’escalade sécuritaire a atteint un nouveau niveau avec la mobilisation des militaires du corps des Marines, « troupes offensives qui ne sont pas formées au maintien de l’ordre », pointe Denis Lacorne. Finalement, la police locale, la LAPD, « largement suffisante et armée pour les circonstances va probablement finir par servir de tampon entre l’armée et la population pour éviter qu’il y ait un contact direct » et de possibles bavures, appuie encore Denis Lacorne. L’inquiétude soulevée par le chercheur est fondée. Lors des manifestations « Black Lives Matter » en 2020, celui qui était déjà président s’était demandé pourquoi on ne « tirait dans les jambes des manifestants ». « Avec Donald Trump, tout est possible », résume ainsi Denis Lacorne.