Embauches d’un côté, licenciement de l’autre, pourquoi le monde de la tech a perdu la tête (et comment y survivre) ?

Le monde de la tech est en plein chamboulement. En dépit d’un contexte économique très instable, la filière est en pleine croissance et affiche le plein-emploi. L’arrivée de l’IA y est pour beaucoup, mais elle met au passage un sacré coup de pied dans la fourmilière. Là où elle crée une forte demande dans les domaines de la cybersécurité, de l’analyse de données et de l’intelligence artificielle, ce sont les postes IT (technologies de l’information, c’est-à-dire de l’informatique et du numérique) qui trinquent. Les licenciements vont bon train, à tel point que le magazine spécialisé IT for Business titrait « Un été de licenciements dans la tech » en août dernier, tant les suppressions de postes étaient nombreuses. Ce paradoxe, dans lequel des suppressions de postes cohabitent avec une forte demande, était au cœur d’une table ronde au salon Vivatech le jeudi 12 juin.
Jérémy Clédat, fondateur du site Welcome to the Jungle et participant à la table ronde, constate que le phénomène « n’est pas si nouveau, en réalité. L’industrie tech fonctionne par vagues : avec l’arrivée du cloud, il y avait déjà eu une de telles vagues de recrutement massif. » Sauf qu’aujourd’hui, c’est l’intelligence artificielle qui est au cœur de cette transformation. Dans le cadre d’une interview accordée en septembre 2024 pour le magazine CIO Online (spécialisé dans l’informatique et les technologie), David Foote, analyste en chef et responsable de la recherche au sein du cabinet Foote Partners, expliquait que « les entreprises ciblent des personnes qui ont peut-être été de bons collaborateurs par le passé, mais qui ne s’intègrent pas dans le nouveau monde régi par l’économie [émergente] et la technologie sur laquelle elles misent pour l’avenir. »
A ce propos, Jérémy Clédat observe que « la tech est un secteur qui doit réagir beaucoup plus vite que d’autres, car les enjeux sont très forts. Les besoins peuvent apparaître en l’espace de quelques mois et il faut savoir réorganiser rapidement les ressources ». D’où le paradoxal chassé-croisé auquel on assiste en ce moment.
Quand l’herbe est plus verte ailleurs
D’après Welcome to the Jungle, le nombre d’offres d’emploi mentionnant l’intelligence artificielle est en forte augmentation ces dernières années. Sur l’ensemble de l’année 2023, il y avait 2.300 offres publiées. Depuis début 2025, elles sont plus de 2.200. Les postes les plus recherchés sont ceux de data scientist, d’ingénieur IA ou encore d’expert en cybersécurité. Et il y a une vraie difficulté à pourvoir ces postes : « Tout le monde recherche les mêmes profils », observe Jérémy Clédat. « Or, dans bien des cas, les formations ne sont pas toujours à jour. Forcément, les candidats intéressants sont sursollicités. »
Pour combler ce manque, les entreprises sont tentées de procéder au « nearshoring », à savoir l’externalisation vers des pays proches. En attendant, en France, la demande en formation IA se fait davantage ressentir, années après années. D’après une étude de l’Apec publiée le 3 juin, 72 % des cadres souhaiteraient être formés à l’IA. C’est 12 % de plus que l’année précédente.
Développer son image d’entreprise
Pour combler cette pénurie de profils qualifiés et éviter d’être tenté par le nearshoring, Welcome to The Jungle relève une liste de leviers à activer, parmi lesquels on retrouve l’upskilling (soit la formation interne autour des outils IA). Mais d’après Jérémy Clédat, c’est du côté du processus de recrutement, trop lourd et opaque, ou encore dans la promotion du travail hybride que les employeurs ne font pas assez : « C’est pourtant devenu un point crucial afin de rester compétitif », déclare-t-il, avant d’étayer son propos : « Pourquoi un candidat choisirait votre entreprise plutôt qu’une autre ? Les candidats veulent savoir quelles technologies sont utilisées en entreprise, quel est le quotidien au travail… Beaucoup trop d’offres d’emploi sont vides et peu différenciantes. »
Des milliers d’offres d’emploi en un clic
De l’autre côté, il y a un vrai enjeu pour les étudiants de cibler les bonnes formations afin d’accéder aux métiers convoités. Dans un environnement aussi rapide et mouvementé que celui de la tech, le cofondateur de Welcome to the Jungle recommande aux étudiants intéressés par la filière de se diriger vers des cursus « qui permettent d’apprendre par la pratique. Aujourd’hui, on valorise de plus en plus la capacité à développer ses propres projets, à créer un portfolio, à montrer ce qu’on sait faire et à expérimenter hors du cadre strict des études. » Mais dans un secteur aussi dynamique, la formation continue n’est jamais à exclure.