Election américaine 2024 : En France, la filière du vin « se prépare au pire » avec l’élection de Donald Trump
Le secteur du vin français garde de Donald Trump un goût amer, toujours bien présent en bouche. En octobre 2019, il avait en effet décrété des droits de douane de 25 % sur « les vins tranquilles » (non effervescents) provenant de l’hexagone, dans le cadre ducontentieux opposant Boeing à Airbus.
Son élection mercredi, alors qu’il a fait toute sa campagne sur le thème de l’« America First », fait craindre aux viticulteurs et exportateurs français le retour d’une taxe, qui n’a été que suspendue – pas levée – par l’administration Biden en 2021. « Le risque est élevé, estime Hortense Bernard, directrice commerciale de Millesima, maison de négoce à Bordeaux et poids lourd de la vente en ligne de vins en France. Elle pourrait d’ailleurs être appliquée davantage en rétorsion aux taxes sur le digital que dans le cadre du conflit Boeing/Airbus », poursuit cette spécialiste du marché américain, où elle a travaillé pendant dix ans.
« Une taxe à 10 % serait un moindre mal »
Hortense Bernard explique que « c’est une taxe de 10 % sur toutes les importations venues d’Europe qui est aujourd’hui envisagée, sauf qu’il y a des lobbyings qui poussent pour aller au-delà ». Ce qui lui fait dire que « si on se retrouve au final avec une taxe à 10 %, ce sera un moindre mal et on s’en sortira », alors que ce sera « beaucoup plus compliqué si elle est de 25 % ».
« C’est un peu paradoxal de crier avant d’avoir mal, admet de son côté Jean-Marie Fabre, président des vignerons indépendants de France, mais en l’occurrence, on a payé pour voir. En 2019, Donald Trump a appuyé là où ça fait mal, sachant que le secteur des vins et spiritueux se situe à la deuxième ou troisième place des excédents dans la balance commerciale française. Les Etats-Unis sont le premier pays de consommation de vin dans le monde, et les vins français y réalisent 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Trump a donc très bien mesuré le poids que représente le marché américain pour notre secteur. »
Après l’application de la taxe, la filière des vins français avait accusé « un manque à gagner de 600 millions d’euros en un an » sur le marché américain, rappelle Jean-Marie Fabre. « Et pendant ce temps, les autres pays producteurs – Italie, Espagne… – se sont engouffrés dans les parts de marché que nous perdions. » Ce qui fait dire au patron des vignerons indépendants, qu’une éventuelle « stratégie de défense à l’échelle européenne, pour répondre à cette taxation des vins français, n’était alors pas forcément partagée par les autres pays ». « On a laissé le secteur viticole français payer seul l’addition du différend commercial de l’aéronautique », déplore-t-il aujourd’hui.
Les champagnes vont-ils passer à la caisse ?
Prise au dépourvu en 2019, cette fois-ci, « la filière viticole s’organise aux Etats-Unis pour aller défendre nos intérêts », assure Hortense Bernard. Elle pointe notamment que « les restaurateurs aux Etats-Unis font l’essentiel de leurs marges sur les vins français ». « Le vin français n’est pas substituable, poursuit-elle, car nous avons une richesse qui nous permet de couvrir énormément de spécificités. D’autant plus que les champagnes, qui avaient été épargnés la première fois, sont en première ligne cette fois-ci. »
Les entreprises américaines du secteur – importateurs, distributeurs, revendeurs – « sont en train de monter au filet », assure de son côté Jean-Marie Fabre, car elles seraient aussi affectées par une hausse des prix. « Les Américains consomment à 80 % des vins importés, ce sont donc eux qui, in fine, paieraient l’addition, or Donald Trump a aussi fait campagne sur le pouvoir d’achat », rappelle par ailleurs le président des vingerons indépendants.
Le problème, « c’est que Donald Trump est imprévisible, et tout ce qui est en train d’être effectué pour défendre les vins français et européens, peut tomber à l’eau du jour au lendemain », analyse Hortense Bernard. C’est pourquoi certains professionnels préfèrent anticiper. « Des importateurs américains se préparent à surstocker certains vins français dès maintenant, car tout ce qui serait rentré avant l’application d’une nouvelle taxe y échapperait, explique Jean-Marie Fabre. Mais encore faut-il pouvoir assumer ce surstockage. »
Pousser l’Union européenne à régler ce litige
Le patron des vignerons indépendants estime toutefois que la réponse la plus forte doit venir de l’Europe. Et regrette que rien n’ait été fait depuis 2021. « Notre lobbying n’a pas cessé depuis l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, pour pousser le gouvernement français à exiger de l’Union européenne de régler définitivement ce différend commercial. Et je déplore qu’il n’y ait pas eu de résultat », peste Jean-Marie Fabre.
« Nous demandons aujourd’hui d’ouvrir le dialogue rapidement, mais je crains que ça ne se passe pas de manière différente que la première fois, il nous faut donc bien se préparer au pire, pour ne pas se retrouver en janvier ou février devant le fait accompli. Je pense qu’il faudra mettre en œuvre des outils qui nous permettent de gagner des parts sur d’autres marchés, notamment un accompagnement financier pour les entreprises françaises qui seraient pénalisées aux Etats-Unis. » Sur 4.500 vignerons français exportateurs aux Etats-Unis, « il y a 3.500 vignerons indépendants, c’est-à-dire des TPE-PME, qui font sur ce marché un chiffre très important, puisqu’on y vend plutôt des produits premium », rappelle Jean-Marie Fabre.
Les vins de Bordeaux sont notamment en première ligne, puisque les Etats-Unis représentent leur deuxième marché à l’export, en volume comme en valeur. En vingt ans, les exportations de Bordeaux y ont progressé de près de 30 %, ce qui représentait en 2023 205.000 hectolitres (27 millions de bouteilles) en volume, pour une valeur de 369 millions d’euros.