France

Edouard Philippe veut se distancier de Macron sans être un « traître »

Le 7 octobre, Edouard Philippe a invité Emmanuel Macron à démissionner de son poste de président de la République. Selon un sondage Ifop publié fin septembre, Edouard Philippe n’atteignait plus que 16 % d’intentions de vote au premier tour.


En bon amateur de boxe, Édouard Philippe sait donner des coups. Le 7 octobre, le maire du Havre a lancé un crochet inattendu à Emmanuel Macron, l’invitant à démissionner de son poste de président de la République pour provoquer une présidentielle anticipée après le vote du budget. Cet appel a été réitéré le 16 octobre – « c’est la seule décision digne » – et encore mardi dernier lors du forum « World in progress » à Barcelone, en Espagne. « Je ne vois aucune autre solution crédible », a-t-il affirmé. Cette stratégie, qui marque la rupture larvée entre les deux hommes, s’avère risquée pour le candidat à la présidentielle.

Depuis son départ de Matignon, Édouard Philippe s’est efforcé de prendre ses distances avec Emmanuel Macron. Au début, ses critiques étaient mesurées, mais au fil des semaines, le patron d’Horizons a durci le ton contre le chef de l’État. Sur son entrée à Matignon en 2017, il a déclaré : « Il est venu me chercher, je ne me suis pas roulé par terre pour qu’il me nomme. » Concernant la dissolution prévue en 2024, il a qualifié la situation de « désastre » et a qualifié la suspension de la réforme des retraites de « concession qui va trop loin ». Peu importe celui qui l’a choisi comme chef de la majorité en 2017, il a aussi déclaré : « Je ne lui dois rien. »

« Depuis 2022, le président prend les portes du slalom à contresens. Ses décisions, comme la dissolution à l’été 2024, ont contribué à brouiller la situation », a critiqué Xavier Albertini, député Horizons. « On ne peut pas continuer cette comedia dell’arte jusqu’à 2027. Il faut une décision pour desserrer l’étau, dans l’intérêt du pays. Attendre encore 18 mois comme ça serait mortifère. Et celui qui est au centre de tout, c’est le président », a ajouté l’élu de la Marne. Marine Cazard, présidente des Jeunes Horizons et membre du bureau politique du parti, a poursuivi : « Édouard Philippe a été loyal et fairplay mais il est attaché aux institutions. Et par ses décisions, le président les fragilise. Il n’est aujourd’hui plus en capacité d’assurer la continuité de l’État. »

Ces prises de distance d’Édouard Philippe et de ses soutiens ont irrité les fidèles du chef de l’État. François Patriat, le patron des sénateurs macronistes, a réagi : « Le problème actuel n’est pas à l’Élysée, mais au Parlement. Que certains évoquent la démission du président de la République me choque, je n’y vois aucun intérêt, sinon d’être suicidaires. » Il a ajouté : « Ceux qui aspirent aux plus hautes fonctions devraient commencer par les respecter. » Pendant ce temps, alors que Bruno Retailleau quitte le gouvernement et que Gabriel Attal prend ses distances avec le président, Édouard Philippe semble vouloir ne pas se laisser distancer, au risque d’une surenchère.

Erwan Balanant, député MoDem, a exprimé son incompréhension face à la stratégie d’Édouard Philippe : « Je pense qu’il a commis une faute politique. Quand vous aspirez à devenir président, vous ne pouvez pas appeler à une démission qui serait une forme de jurisprudence pour les prochaines crises, et donc aussi pour vous-même si vous êtes élu. Bon courage à lui s’il veut mener sa réforme des retraites à 67 ans dans ces conditions ! » Maud Bregeon, la nouvelle porte-parole du gouvernement, a même ajouté : « Un certain nombre de politiques, qui ont été faits par Emmanuel Macron, essayent de s’en dissocier… Mais les Français n’aiment pas les traîtres », ciblant Édouard Philippe et Gabriel Attal.

Ce durcissement du ton d’Édouard Philippe pourrait s’expliquer par sa chute dans les sondages : il n’affiche plus que 16 % d’intentions de vote au premier tour d’après une enquête Ifop publiée fin septembre, très loin du RN (33 %) et désormais talonné par Raphaël Glucksmann (15 %). Un élu de l’ex-majorité présidentielle a critiqué sa stratégie : « Sa volonté d’accélérer le calendrier avec ces attaques frontales est irresponsable et déstabilise nos militants. Comme pour sa candidature en septembre 2024, lorsqu’il n’y avait pas de gouvernement, il est à contretemps… » Édouard Philippe perd ainsi des soutiens parmi les macronistes. Selon le dernier baromètre Cluster17 pour Le Point publié mercredi, il chute à 22 % d’opinions favorables, perdant 15 points dans l’électorat macroniste. « Déstabiliser la fonction présidentielle, c’est incompréhensible. Cette stratégie n’est pas très lisible et je ne suis d’ailleurs pas sûre qu’il y ait une grande unanimité au sein même d’Horizons », a soutenu Prisca Thevenot, députée Renaissance et ex-porte parole du gouvernement Attal.

Trois députées Horizons ont décidé de rejoindre le gouvernement Lecornu II alors que leur patron plaidait pour un « soutien sans participation ». De plus, la vice-présidente du mouvement, Christelle Morançais, a appelé sur X le 14 octobre à « la censure du gouvernement », en contradiction avec la ligne du groupe à l’Assemblée. Marine Cazard a tenté de minimiser ces incohérences : « De l’extérieur, ça peut paraître pas clair, mais chez nous, ce n’est pas la Stasi, chacun peut exprimer ses positions. » Édouard Philippe se trouve désormais sur une ligne de crête : il doit se différencier de l’impopulaire Emmanuel Macron sans risquer d’être perçu comme un « traître » par son électorat.