France

Du plaisir dans la douleur : les sauces pimentées conquièrent nos palais

La Maison Piquante, ouverte il y a un peu moins d’un an à Cesson-Sévigné près de Rennes, est l’une des seules boutiques entièrement dédiée aux sauces pimentées en France. En cinq ans, les ventes de sauces pimentées ont bondi de 30 % au pays de la moutarde, qui ne connaissait jusqu’à présent que la harissa et le Tabasco.

De notre envoyé spécial sur l’échelle de Scoville,

After Death, Zombie Apocalypse, Da’Bomb Ground Zero, Extreme Karma X Hot… Les petites bouteilles, soigneusement rangées, portent des étiquettes aux couleurs vives et à l’univers délibérément extravagant, offrant un avant-goût de l’enfer. Pour ceux qui oseraient goûter ces recettes redoutables, cela promet un feu éternel dans la bouche. Nous sommes à la Maison Piquante, ouverte il y a moins d’un an à Cesson-Sévigné, près de Rennes. Dans cette petite boutique, l’une des rares en France entièrement dédiée aux sauces pimentées, clients réguliers et novices viennent chercher leur dose d’exotisme ou de sensations fortes.

« Nous avons deux types de clients : ceux qui ont voyagé et ont pris l’habitude de consommer épicé, et les plus jeunes qui cherchent à défier leurs amis », précise Marc Le Bras. C’est au Canada que le gérant a découvert les sauces piquantes. « Comme aux États-Unis, ils en mettent un peu partout avec des sauces aux saveurs variées », explique cet amateur de capsaïcine, le composé actif du piment. « Quand on s’y habitue, on a tendance à y revenir fréquemment, comme ceux qui consomment du beurre ou de la mayonnaise », avertit-il.

« Un bon indicateur du métissage de la cuisine »

Traditionnellement, la cuisine française n’a jamais été très encline au piquant, sauf dans les Antilles et à La Réunion où les piments oiseaux et habaneros sont omniprésents. Cependant, ces dernières années, les Français découvrent de plus en plus le plaisir de « se chauffer la gueule » avec des piments qui s’invitent progressivement à leurs tables. En cinq ans, les ventes de sauces pimentées ont ainsi augmenté de 30 % dans le pays de la moutarde, qui ne se contentait auparavant que de la harissa et du Tabasco pour relever ses plats.

« Le piment est un bon indicateur du métissage de la cuisine », estime Sonia Lounes. Fille de parents kabyles et originaire de Perpignan, elle a toujours été entourée des saveurs méditerranéennes, même si elle admet que « la première expérience avec le piment est toujours désagréable ». « En tant qu’enfant, on ne comprend pas qu’il puisse y avoir du plaisir dans la douleur », affirme-t-elle.

« Un effet de mode » avec le succès de « Hot ones »

En arrivant à Paris dans sa vingtaine, son attrait pour le piment a encore grandi au contact d’autres cuisines. « L’émergence de la street food a provoqué un tournant dans les palais des Français, et cela se renforce avec l’essor de la cuisine fusion », explique-t-elle, elle-même autrice d’un livre intitulé J’aime le piment : petit précis du goût piquant, qui sera publié mi-octobre aux éditions Keribus. Dans toutes les grandes villes, les stands de tacos, baos et poulet frits sont devenus incontournables, amplifiant cette tendance vers l’exotisme culinaire et le pimenté.

Une révolution épicée est également visible sur les réseaux sociaux grâce au succès de l’émission « Hot Ones ». Lancée d’abord aux États-Unis puis adaptée en France sur Canal+, ce programme met en scène des personnalités qui doivent répondre à une interview tout en dégustant dix sauces pimentées, d’intensité croissante. « Il y a clairement un effet de mode », confirme Sonia Lounes.

Des sauces à plusieurs millions sur l’échelle de Scoville

Pour le plaisir, des amis s’amusent désormais à tester des sauces notées sur l’échelle de Scoville lors de soirées. Avec un modeste 3.000 pour se mettre en bouche et plus d’un million pour The Last Dab, la sauce finale qui termine le défi. Dans sa boutique, Marc Le Bras propose même davantage avec la Hellfire Rebooted Double Doomed, l’une des sauces les plus piquantes au monde affichant 4,5 millions sur l’échelle de Scoville.

« Dès que l’on dépasse le million, on sait que c’est pour le défi et non pour la cuisine. Bien que j’ai un client qui réussit à concocter une sauce à 2,6 millions », souligne le gérant de Maison Piquante. Même si cette course au piquant le fait sourire, Sonia Lounes avoue ne pas apprécier ces sauces extrêmes. « Je ne pense pas que faire consommer du poison soit bénéfique pour la cause du piment », souligne-t-elle, elle qui co-fonde le collectif Hot in Here, organisant le 18 octobre la 4ème édition du festival Paris on Fire.

« Plus on s’entraîne, plus on aime ça »

Dans ce marché très influencé par les États-Unis, des artisans français fabriquent aussi leurs propres sauces, comme la Maison Martin ou Mastari, qui aime associer piment, fruits et épices. « Cela offre un choix presque infini pour des créations alliant goût et esthétique, qui rencontre un grand succès », indique Rémi Fattal, fondateur de la marque Mastari. Ce dernier classe ses sauces sur une échelle de 1 à 10, au lieu de l’échelle de Scoville. « Mais je n’irais pas au-delà de 9 car il faut que cela reste savoureux », sourit-il, notant que « le piment est désormais bien intégré dans les habitudes alimentaires », attirant une clientèle de plus en plus variée.

« J’ai beaucoup de clients végans, assure-t-il. Cela leur permet d’ajouter du caractère à des plats parfois simples ou d’apporter une note fumée rappelant les viandes », ajoute-t-il. Pour ceux qui hésitent encore à ajouter du piment à leur cuisine, Sonia Lounes les conseille de « y aller progressivement » et de commencer avec des sauces douces. « Et après, c’est comme le sport : plus on s’entraîne, plus on apprécie. »