Droits TV Ligue 1 : Labrune en alerte, DAZN à l’attaque… C’est quoi encore, cette histoire ?
La saga des droits TV de la L1 a son charme. Un peu à la façon des grandes séries du catalogue Netflix ou Amazon, on trépigne de savoir quand finira par tomber le prochain épisode. Celui des négociations avec DAZN aurait théoriquement dû attendre fin novembre 2025, date à laquelle le diffuseur aurait pu prendre la porte de sortie ouverte par une clause incluse dans le contrat avec la LFP, au cas où le million et demi d’abonnés ne serait pas atteint.
Avec 500.000 abonnés au dernier pointage, début février, la plateforme est encore loin du compte et multiplie les manœuvres désespérées pour séduire les amateurs de foot. Dernière offre en date, le pass fin de saison pour 49 euros (paiement unique) a tout d’un énième coup d’épée dans l’eau. Des gesticulations qui renvoient aux paroles prophétiques de Maxime Saada, président du groupe Canal+, lors d’une intervention au Sénat, fin janvier :
« Actuellement, c’est très compliqué pour DAZN de retrouver une équation économique avec le montant investi aujourd’hui. Je crois qu’il faut déjà remercier DAZN d’avoir consenti à investir 400 M€ par saison et beIN Sports [l’autre diffuseur de la L1] 100 M€ parce que sinon… Mais je pense hélas que la situation va continuer à se dégrader. À un moment, la réalité économique s’impose à tous les acteurs, y compris DAZN. Donc je ne pense pas qu’on soit au bout de l’histoire. »
Labrune convoque un CA en urgence
Bingo Maxime ! DAZN a par conséquent décidé d’avancer la programmation de notre feuilleton préféré, qu’on nommera au pif « Titanic Ligue 1 », à début 2025, en laissant planer la menace tout à fait concrète d’un non-versement d’une moitié de la quatrième échéance prévue dans les prochains jours par le contrat qu’elle a conclue cet été avec le football français. La tranche correspond à 24 % des droits à verser à la Ligue puis à redistribuer entre les clubs, qui s’inquiétaient logiquement, à l’image de Joseph Oughourlian, président du RC Lens, des premiers bruits de couloirs entendus en début de semaine. Devenue pressante, celle-ci a poussé Vincent Labrune à convoquer un conseil d’administration de la LFP en urgence ce mercredi.
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Concrètement, DAZN s’estime lésée et reproche aux acteurs du football français des conditions d’exploitation difficiles en partie liées au piratage. La LFP n’ignore pas le problème et, en se penchant sur le procès-verbal du CA daté du 8 janvier 2025, on devine l’existence d’une présentation Power Point de Benjamin Morel (DG de LFP Media) et Jérôme Cazadieu d’une étude réalisée par Ipsos sur la question du piratage. Où l’on apprend plusieurs choses comme :
> 27 % des personnes qui regardent illégalement la Ligue 1 ont commencé à le faire depuis cette saison.
> 55 % des téléspectateurs du match OM – PSG (J9) l’ont regardé via des sources illégales.
Le genre de réunion où l’on identifie un problème en se grattant le menton pour faire mine d’y réfléchir sans réellement faire avancer le schmilblick. D’autant plus que, comme le rappelle à 20 Minutes le spécialiste des droits TV Pierre Maes, la problématique n’est pas nouvelle. Constat qui vaut pour les dirigeants de la Ligue et pour la plateforme de streaming britannique, laquelle savait très bien dans quoi elle s’embarquait au moment de signer avec la LFP.
« Evidemment qu’ils le savaient. Ils ont aussi beaucoup bataillé et beaucoup invoqué le piratage en Italie. Mais le piratage est partout. En 2019, déjà, Yousef Al-Obaidli, le boss de beIN, se plaignait du piratage. Il disait essentiellement deux choses. »Les droits que nous achetons ne sont plus exclusifs. Les ligues prétendent nous vendre des droits exclusifs, mais ils n’en est rien à cause du piratage. » C’était il y a six ans. Il disait aussi que les ligues ne font rien pour endiguer ce problème. »
Le groupe DAZN doit aussi faire des économies
Il y a de fortes chances pour que la bonne excuse du piratage cache une autre réalité, à savoir : DAZN n’est pas le puits d’argent sans fond qu’il a bien voulu faire croire. La perte nette du groupe pour l’exercice 2023 dont les résultats viennent d’être publiés fin janvier, s’est creusée à 1,4 milliard d’euros, et l’investissement dans les droits sportifs internationaux y est pour beaucoup.
« DAZN est complètement sous pression, analyse Pierre Maes. Ils n’ont toujours pas atteint l’équilibre économique. Ils accumulent des coûts, et les recettes ne suivent pas. Mais je ne pense pas qu’ils veuillent lâcher la France. Il est important pour eux de conserver la France, pour pouvoir continuer de se vanter de leur implantation dans beaucoup de pays européens. Par contre, payer moins cher, ça, c’est clairement un objectif. »
L’idée derrière la menace du non-versement est donc celle d’une renégociation. Et s’il se murmure que les Britanniques regrettent également d’avoir surévalué la Serie A, ils tapent en priorité sur la L1. Il faut probablement y avoir un retour de bâton pour Vincent Labrune, lequel avait sèchement éconduit DAZN lors du précédent appel d’offres avant de lui rouvrir ses bras dans un élan de désespoir. Et un avantage conjoncturel récurrent depuis que Canal+ s’est désengagé : le diffuseur n’a aucune concurrence sur un marché désert. « En plus d’être agressif, DAZN est assez habile, poursuit Pierre Maes. Parce qu’ils savent aussi dans quel contexte psychologique se trouve le football français. Tout ça ravive les mauvais souvenirs de Mediapro. »
NOTRE DOSSIER SUR LES DROITS TV DU FOOT
A la seule différence qu’en cas de nouvelle bérézina, les clubs français sont déjà en alerte. Ceux-ci se sont engagés dans des ventes massives lors du mercato hivernal. D’après un rapport publié vendredi par la Fifa, les indemnités de transfert en janvier ont rapporté aux clubs français 357 millions d’euros. Presque autant que les droits TV. Si jamais DAZN quitte vraiment le navire, il n’y aura plus qu’à relancer le marronnier de la chaîne de la LFP.