Droits de douane : Les Etats-Unis, un « marché clé » pour les vins et spiritueux, « que l’on ne remplace pas comme cela »

Le calice jusqu’à la lie. Dans un contexte économique morose pour l’ensemble de la filière, la nouvelle taxe de 15 % appliquée par les Etats-Unis sur les vins et spiritueux européens, va frapper durement le secteur en France. Les vins français y étaient taxés depuis le 1er janvier à 13,5 %, contre 3,5 % auparavant, alors que les spiritueux étaient exonérés de taxe jusqu’ici.
En 2024, l’Union européenne a exporté pour 8 milliards d’euros d’alcools, dont plus de 5 milliards de vins, aux États-Unis, son premier marché à l’exportation. Avec 2,4 milliards d’euros de vin et 1,5 milliard de spiritueux écoulés aux États-Unis (environ 25 % de ses exportations), la France représente environ la moitié de ce marché européen.
Les Etats-Unis, « un marché plus stable » que le Japon ou la Chine
La filière française peut-elle trouver de nouveaux débouchés ? Le champagne, pour qui le marché américain représente 10 % des exportations en volume, soit 820 millions d’euros en 2024, a déjà prévenu qu’il sera difficile de « réorienter » de tels volumes vers d’autres régions. A Bordeaux, où les Etats-Unis sont aussi le premier marché à l’étranger, avec 20 % de l’export et 10 % du total, soit 30 millions de bouteilles et 430 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les douze derniers mois, on prévient aussi qu’on ne « remplace pas un tel marché comme cela ».
« Même si cette taxe à 15 % est une mauvaise nouvelle, et aura des conséquences sur notre business, les Etats-Unis restent parmi nos marchés les plus stables, comparés à la Chine, l’Afrique ou l’Asie du Sud-Est, explique Christophe Chateau directeur de la communication du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux). Dans le contexte de forte crise économique que nous traversons, il est difficile de trouver de nouveaux marchés. Il n’y a pas d’eldorado. »
Une analyse confirmée par Philippe Castéja, président du Conseil des grands crus classés 1855 et ancien président de la Fédération des exportateurs français de vins et spiritueux (FEVS). « Nous sommes dans une situation compliquée en ce moment : le marché japonais est freiné en raison de la valeur du yen par rapport à l’euro, le marché chinois est en baisse depuis que les vins et spiritueux sont bannis des banquets officiels, ce qui représentait une manne, et les marchés européens sont touchés par le ralentissement économique général, notamment en France, énumère-t-il. La filière vin est touchée de façon importante par la crise. »
« Un pays où l’on boit beaucoup de vin, et de toutes les catégories »
« Il faut bien se rendre compte de ce que pèsent les Etats-Unis comme marché, un pays où l’on boit beaucoup de vin, et de toutes les catégories, ce n’est pas qu’un marché de grands crus », explique de son côté Sylvie Courselle, viticultrice et exploitante du château Thieuley, à La Sauve, dans l’Entre-Deux-Mers (Gironde). Les Etats-Unis représentent 20 % de ses exportations.
« Nous vendons notre vin, que l’on peut qualifier de milieu de gamme pour le marché américain, dans plusieurs États : beaucoup sur la côte Est, à New York et Washington, mais aussi dans l’Illinois, le Tennessee, le Texas. C’est un marché clé. »
La viticultrice estime cependant « ne pas avoir mis tous [ses] œufs dans le même panier » puisqu’elle exporte 60 % de sa production dans une vingtaine de pays différents, notamment la Grande-Bretagne, le Japon, la Suisse. Elle reconnaît qu’il lui reste « certainement » de nouveaux marchés à explorer, comme « l’Indonésie, l’Inde, le Danemark, la Norvège », mais « tous les marchés que nous prospectons sont devenus difficiles », en raison « de la consommation de vin qui a tendance à stagner, voire diminuer, et au contexte international, qui fait que l’économie tourne au ralenti ».
Un consommateur américain pénalisé
En raison du contexte, Sylvie Courselle a annulé un déplacement professionnel aux Etats-Unis, où elle devait se rendre pour faire la promotion de son vin. Mais elle est loin de tirer un trait sur ce marché. « On croit encore aux Etats-Unis, évidemment, je pense qu’il va falloir quelques mois pour que ça reparte. Après plusieurs annulations de commandes en début d’année, je constate d’ailleurs que, depuis quelques jours, cela frémit à nouveau. Maintenant que les règles du jeu sont établies, on sait où l’on va, même si avec Donald Trump, la situation peut encore changer. »
Cette connaisseuse du marché américain, souligne cependant que cette hausse aura aussi des conséquences outre-Atlantique, avec un prix de la bouteille qui va inexorablement augmenter en bout de chaîne. Philippe Castéja estime ainsi qu’une fois que chaque acteur de la filière aura répercuté la hausse, « une bouteille aujourd’hui à 9,90 dollars, passera certainement à 14 ou 15 dollars, ce qui veut dire qu’elle change de catégorie, ce ne sera donc pas sans conséquence ».
Notre dossier sur le vin
Non seulement le consommateur américain sera pénalisé, mais « la filière d’importation de vin – une machine très puissante et organisée, composée de l’importateur, du distributeur, et du revendeur – pourrait elle aussi se retrouver fragilisée si elle cesse, ou diminue fortement, ses importations de vin d’Europe, ajoute Sylvie Courselle. Et cela, M. Trump le sait aussi. »

