Drogue : « Il faut changer de modèle »… Légaliser le cannabis en France, un combat sans fin pour les députés

A peine dévoilées, sitôt contestées. Les députés Ludovic Mendes (EPR) et Antoine Léaument (LFI) ont présenté ce mardi les conclusions de leur rapport sur la lutte contre le trafic de stupéfiants. Un document de 300 pages, fruit de 17 mois de travail, qui comprend 63 propositions. Parmi elles, on retrouve la légalisation – très encadrée – du cannabis. « C’est un discours de défaite », « totalement déresponsabilisant », avait cinglé la veille le garde des Sceaux Gérald Darmanin, défenseur acharné de l’interdiction, lors d’un déplacement au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. Une telle mesure, croit-il savoir, inciterait les consommateurs à aller « vers des drogues encore plus dures, qui tuent encore plus de gens ». « Je suis totalement contre », a pour sa part déclaré ce mardi, sur TF1, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
« Ce qui est dommage c’est qu’ils n’aient pas lu le rapport, déplore Antoine Léaument auprès de 20 Minutes. L’analyse que nous tirons avec mon corapporteur, c’est que la politique menée jusqu’à présent ne fonctionne pas. Elle n’a pas permis de faire baisser les consommations, les importations sur notre territoire, ni d’éradiquer les trafics de stupéfiants », souligne-t-il. « Il y a quelque chose d’assez idéologique chez nos adversaires et de pas très logique, car le bon sens impose de changer de modèle. »
« Lutter contre les consommations »
Ludovic Mendes et Antoine Léaument constatent dans leur rapport que « le trafic de stupéfiants est devenu un phénomène criminel majeur dans notre pays ». Alors que le gouvernement souhaite accentuer la répression contre les trafiquants et les consommateurs, ils préconisent, au contraire, de légaliser le cannabis et de dépénaliser l’usage d’autres produits. Une façon efficace « d’assécher » le marché illégal, de « déstabiliser l’économie des trafics » et de « capter le maximum de ressources souterraines, qui financent actuellement le crime organisé, au profit de la puissance publique », estiment les deux élus, qui ont réalisé 80 auditions et six déplacements dans le cadre de leur mission.
« Ce que nous proposons, c’est de lutter contre les consommations, pas contre les consommateurs », martèle Antoine Léaument. « C’est une manière de penser les choses un peu différente, qui vise à faire de la prévention en l’associant à la vente. Un dealer ne vous dira jamais que c’est mauvais de fumer du cannabis avant 25 ans, et il vous proposera parfois un échantillon de cocaïne, d’ecstasy ou de MDMA. Des drogues bien plus addictives qu’il peut vendre plus cher. L’Etat, si la vente de cannabis lui était confiée, ne ferait jamais ça. La réception de notre rapport auprès des addictologues est d’ailleurs plutôt bonne. »
Le député insoumis reconnaît que la légalisation du cannabis « est une politique difficile à mettre en œuvre ». « Le prix, le taux de THC… Il y a une série de paramètres à mettre en œuvre pour qu’elle réussisse. Il est vrai que dans certains pays, cela n’a pas fonctionné. Il faut s’inspirer de ceux qui ont réussi, comme au Québec. »
De précédentes propositions similaires
Ce n’est pas la première fois que des députés, de droite comme de gauche, proposent de légaliser le cannabis. En mai 2021, une mission d’information « sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis » était arrivée à la même conclusion après avoir auditionné une centaine de spécialistes. Une mesure qui serait nécessaire afin « de reprendre le contrôle, de protéger la santé des consommateurs, notamment des jeunes, et d’assurer la sécurité des Français », expliquait à 20 Minutes sa rapporteure, la députée LREM du Loiret Caroline Janvier. Sa publication avait été un coup d’épée dans l’eau, le gouvernement et le ministre de l’Intérieur de l’époque Gérald Darmanin en premier lieu, campant sur leur position.
En 2018, le député LR de l’Essonne Robin Reda recommandait pour sa part de sanctionner la consommation et la possession de cannabis par une simple amende. C’est finalement la proposition, plus répressive, d’Éric Poulliat (REM, Gironde) qui avait été retenue et mise en place en 2020 par le gouvernement. A savoir la création d’une amende forfaitaire de 200 euros avec inscription sur le casier judiciaire. Quatre ans plus tôt, les députés Laurent Marcangeli (UMP, Corse-du-Sud) – devenu depuis ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification – et Anne-Yvonne Le Dain (PS, Hérault), préconisaient eux aussi « a minima » de dépénaliser l’usage du cannabis. A l’époque, leur recommandation était restée lettre morte.
Des avis plus « nuancés »
Directeur de recherche au CNRS, le sociologue Sebastian Roché a été « auditionné depuis vingt ans de nombreuses fois par des missions d’information, des commissions d’enquête ou des missions d’informations ayant les pouvoirs des commissions d’enquête ». « ll existe plein de variantes », explique ce spécialiste de la délinquance et de la police à 20 Minutes. Les députés, dit-il, sont, contrairement aux ministres, ouverts « à une très grande diversité d’opinions ».
L’autre avantage des missions d’informations et des commissions parlementaires, « c’est qu’elles sont bipartisanes ». « On a un président qui est d’une couleur politique, un rapporteur qui est d’une autre. Ça peut clasher mais cela reste une formule intéressante », souligne Sebastian Roché.
« Ils vont rechercher des formes de compromis même partielles. Cela donne des avis qui sont singulièrement plus nuancés que « la drogue c’est de la merde », comme l’a dit Gérald Darmanin. Cela montre qu’à plusieurs, avec ce mode de consultation, on fait mieux que les petites phrases à deux balles qu’on sort sur les plateaux télé. »