Donneurs de sperme sur Facebook, pipette de Doliprane… Pour avoir un bébé, elles ont fait une insémination à la maison

Près d’un an et demi. C’est le délai moyen de recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec don de spermatozoïdes en France, selon des chiffres de l’Agence de la biomédecine publiés en 2023. En cause : l’explosion des demandes et le faible nombre de donneurs de sperme. Alors pour gagner du temps, et pour un tas d’autres raisons, des couples hétérosexuels, des couples de lesbiennes et des femmes seules se tournent vers un marché parallèle : celui de l’insémination artisanale, une pratique consistant à réaliser une insémination en dehors du cadre médical.
S’il existe de nombreux groupes Facebook et forums spécialisés mettant en liens donneurs de sperme et receveuses, il est difficile de mesurer l’ampleur du phénomène. Mais rien que sur un seul forum, une quarantaine de demandes sont publiées chaque jour. Pourtant, l’insémination artisanale est illégale en France, et les personnes y ayant recours s’exposent à une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. Pourquoi autant de personnes choisissent-elles cette voie malgré les nombreux risques qu’elles impliquent ? Et comment se passe concrètement une insémination artisanale ? 20 Minutes a mené l’enquête.
Sperme dans un pot et pipette de Doliprane
L’insémination artisanale consiste, pour le donneur, à éjaculer dans un pot stérile, souvent un flacon de prélèvement urinaire acheté en pharmacie, puis à donner ce contenant à la receveuse. Cette dernière va prélever le sperme à l’aide d’une pipette avant de se l’injecter au fond du vagin. Elles utilisent la plupart du temps des pipettes de sirop à Doliprane ou Advil, mais peuvent aussi avoir recours à des seringues classiques achetées en pharmacie ou des « kits d’insémination » vendus sur le Web, notamment sur Amazon. Sur un groupe Facebook, un « serial donneur » livre ses conseils à une femme souhaitant passer par ce procédé : « Inutile de se mettre la tête en bas. La position allongée est suffisante, un coussin sous les fesses sera largement suffisant ». Avant d’ajouter : « une fois l’insémination réalisée, il faut rester allongé environ 15 minutes et c’est bon ».
Il existe deux autres méthodes. La première, dite « semi-artisanale », se résume pour le donneur à se masturber puis, juste avant d’éjaculer, à pénétrer la receveuse. La seconde repose sur un rapport sexuel « classique » avec pénétration vaginale. Sur le forum donneurnaturel.com, la majorité des hommes conditionne leur don à une insémination naturelle ou semi-naturelle. A contrario, les femmes, elles, demandent en général un don exclusivement artisanal. « Je ne voulais pas sexualiser la chose, confie Sophie, 35 ans, mère d’une petite fille issue d’une insémination artisanale. Je ne cherchais ni un coup d’un soir, ni un petit copain, ni un papa mais du matériel génétique. »
« Il a fait son affaire dans la chambre pendant que j’attendais dans le couloir »
Le jour de son insémination, Sophie avait donné rendez-vous à son donneur dans une chambre d’hôtel qu’elle avait réservée. « Je l’ai laissé faire son affaire pendant que j’attendais dans le couloir. Il est ensuite allé au restaurant et m’a laissé la place dans la chambre. J’ai fait l’insémination toute seule, puis je suis rentrée chez moi. » Matthieu*, donneur de 35 ans, a plutôt l’habitude d’éjaculer directement dans la seringue. « Après le don, je la laisse dans la salle de bains et je pars. » De son côté, Marjolaine, devenue mère d’un petit garçon d’un an et demi grâce à un don artisanal, a préféré faire trois heures de route avec son van et sa compagne pour se rendre directement chez le donneur. « C’était déjà énorme ce qu’il faisait, je n’allais pas en plus lui demander de se déplacer. »
Mais les rencontres ne sont pas toujours plaisantes. Julien, donneur de 25 ans, a un mauvais souvenir de l’une de ses premières expériences. « Je suis allé chez la fille qui vivait dans un petit appartement insalubre. Elle m’a dit de faire le don dans les toilettes d’un McDo. J’ai refusé, je ne suis pas un animal. » Le jeune homme raconte avoir quasiment dû s’enfuir. « Elle m’a ensuite harcelé au téléphone et j’ai fini par la bloquer. » Côté receveuses aussi, les mauvaises rencontres sont légion. Souvent bien plus dramatiques, entre les risques de violences sexuelles et d’infection par maladie sexuellement transmissible… Les autorités sanitaires insistent sur les dangers de l’insémination artisanale (dont nous parlerons dans un prochain article **).
La courte durée de vie des spermatozoïdes
Une fois le don effectué, la receveuse s’injecte rapidement la semence, car la durée de vie des spermatozoïdes à l’air libre ne dépasse pas trente minutes. Elle vise aussi une période proche de son pic d’ovulation. Mais rares sont celles à obtenir un test positif dès le premier essai. « Pour l’enfant issu de mon don qui est né en octobre, il a fallu quatre essais », illustre Christophe, père célibataire de 43 ans.
Des allers-retours qui peuvent coûter cher aux donneurs ou aux receveuses. Alors, certains optent pour une autre tactique. « Pour multiplier les chances, je suis resté trois jours : la veille de l’ovulation, le jour de l’ovulation et le lendemain, et on a fait deux inséminations quotidiennes », explique Sébastien, un « serial donneur » de 38 ans ayant fait plus d’une cinquantaine de dons. Dans le cadre médical, une seule insémination est autorisée par cycle. Marjolaine et sa compagne ont également tenté de maximiser leurs chances. « Au dernier moment, on s’est rendu compte qu’on ovulait en même temps et on s’est décidé à faire une insémination chacune. » Un échec pour la quadragénaire. Une réussite, dès le premier coup, pour son amoureuse.
Un gain de temps
Si autant de personnes se tournent vers ce procédé illégal malgré les risques qu’il comporte, c’est parce que la voie médicale possède, à leurs yeux, d’importants inconvénients. Le délai moyen de prise en charge pour une AMP avec don de spermatozoïdes était, on l’a dit, de 15,5 mois au niveau national en 2023, selon l’Agence de la biomédecine. Un délai que ne pouvait pas se permettre d’attendre Marjolaine, âgée de 43 ans au moment où elle a voulu avoir un enfant avec sa compagne, rencontrée deux ans plus tôt.
De l’autre côté, l’insémination artisanale peut aller vite. Parfois vraiment très vite. Sur les forums, nombreux sont les messages à demander un don « urgent ». « Mon donneur devait venir ce soir car test d’ovulation positif ce matin or il a eu un empêchement je cherche donc un donneur pour au plus tard demain soir », poste par exemple une femme sur un groupe Facebook.
Pas de limite de tentatives
Autre détail : l’AMP est réservée aux femmes âgées de moins de 45 ans. Mais encore faut-il être acceptée. Erica*, qui souhaitait un enfant seule, n’avait que 34 ans lorsqu’elle a envoyé une demande d’AMP. Une requête ayant abouti à un refus deux ans plus tard. « Même s’ils ne me l’ont pas dit, je pense que c’était parce que ma réserve ovarienne était trop faible. Ils ne voulaient sûrement pas gâcher du sperme de donneur étant donné qu’il y en a peu. »
Même si elles parviennent à bénéficier d’une AMP, certaines femmes ne réussissent pas à tomber enceintes par ce biais, l’Assurance maladie remboursant six tentatives d’insémination artificielle et quatre essais de fécondation in vitro par grossesse. Les femmes recourant à la méthode « maison » pourront, elles, réaliser autant d’inséminations qu’elles le souhaitent.
Moins contraignant et médicalisé
De plus, si l’AMP est entièrement remboursée par la Sécurité sociale, de nombreux médecins pratiquent des dépassements d’honoraires. Les couples ou les femmes n’ayant pas de bonne mutuelle doivent alors mettre la main au portefeuille. Et la somme peut vite grimper. L’insémination artisanale est, elle, censée être totalement gratuite. Seuls les frais de transport et d’hébergement du donneur sont souvent payés par les receveuses. « Une des femmes que j’ai aidées m’a quand même dit qu’un homme lui avait demandé 3.000 euros pour faire ce don », nuance toutefois Sébastien.
Marjolaine, qui pensait ne jamais devenir mère, adore raconter son histoire et ne tarit pas d’éloges sur son donneur. « Comme il sait qu’on veut un deuxième enfant, il attend pour se faire un tatouage, au cas où ça le contaminerait, et pour avoir recours à une vasectomie. »
* Le prénom a été modifié
** Cet article est le premier des trois chapitres qui composent notre enquête sur l’insémination artisanale.