France

Donner son sang sur son temps de travail, la solution pour éviter d’importer du plasma ?

Elle est une habituée du don du sang. Bénévole pour les collectes mobiles, Chrystelle sait mieux que quiconque l’intérêt de donner. Mais elle n’avait jamais donné son plasma. « Parce que ça me faisait un peu peur, sans doute parce que c’est plus long ». Plus long, mais plus recherché. Et surtout, beaucoup moins fatigant pour notre corps qu’un don « classique ». Un sandwich à la main, assise dans la salle de collation de la Maison du don de Rennes, Chrystelle a le sourire. Pour sa première, elle a bouclé son don de plasma en une trentaine de minutes. « Ça s’est fait tout seul, je n’ai pas vu le temps passer ».

L’aide-soignante est une rapide. Pour les plus longs, il faut compter quarante-cinq minutes. Alors oui, c’est plus chronophage qu’un don de sang, qui ne prend que dix à quinze minutes. Mais c’est essentiel pour sauver des vies. Aujourd’hui, 90 % du plasma collecté sert à la fabrication de traitements administrés à des malades ou des personnes immunodéprimées, dont la vie dépend de ces précieux dons. « J’ai perdu mon papa d’un cancer récemment. Il avait besoin de tout ça. Aujourd’hui il n’est plus là, mais j’ai envie de le faire pour les autres », poursuit Chrystelle, mobilisée à quelques jours de la Journée mondiale des donneurs de sang.

La quinquagénaire bretonne n’est pas la seule à avoir sauté le pas du don de plasma. Pour Ombeline, c’est déjà la quatrième fois. « J’ai toujours voulu donner. Pour moi, c’était comme une évidence quand je suis devenue majeure ». La jeune femme de 23 ans a rempli une poche de ce liquide jaune, composé à 90 % d’eau et chargé en immunoglobulines (anticorps). Ses plaquettes et ses globules rouges lui ont été restitués, permettant à son corps de se régénérer plus rapidement. En France, on peut donner son plasma 24 fois par an contre six fois pour le don du sang (quatre fois pour les femmes).

Les Américains sont payés pour donner

Étudiante en médecine, Ombeline prend régulièrement le temps de venir à la Maison du don de Rennes, seul endroit du département d’Ille-et-Vilaine où l’on peut donner son plasma. « En médecine, je connais pas mal de gens qui le font. Mais chez mes amies en dehors, c’est loin d’être une évidence ». Le geste est pourtant essentiel pour limiter notre dépendance aux importations. Aujourd’hui, nous achetons les deux tiers du plasma que nous utilisons aux États-Unis, où les dons sont rémunérés. Un système très éloigné du nôtre et qui cible particulièrement les populations les plus pauvres, notamment les migrants d’Amérique centrale. Un système que l’on peut aisément critiquer sur le modèle mais qui vient répondre à un besoin croissant. Car chaque année, les besoins en plasma augmentent de 8 à 9 % dans le monde.

Contrairement au sang, le plasma est de couleur jaune. Composé à 90% d'eau, il sert de traitement à de très nombreux malades en France.
Contrairement au sang, le plasma est de couleur jaune. Composé à 90% d’eau, il sert de traitement à de très nombreux malades en France.  - C. Allain/20 Minutes

Pour l’heure, la France se refuse à rémunérer ses donneurs, préférant maintenir un système éthique basé sur le volontariat. Mais les faits sont là : seulement 3,6 % de la population en capacité de donner se déplace. Pour tenter d’encourager les Français à donner leur sang, des députés ont déposé une proposition de loi qui ambitionne de libérer les salariés pendant leur journée de travail. « Il est indispensable d’élargir notre vivier de donneurs, de lever les freins à l’engagement régulier en faveur du don du sang et de reconnaître le don comme acte citoyen », a déclaré le député Les Républicains Pierre Cordier, auteur de la proposition de loi. « C’est beaucoup plus pratique, comme ça, tu peux venir en journée, tu es libérée. Je suis venu avec un collègue, on a pu discuter, c’est plus sympa », témoigne Mélissande, qui travaille en banque. Depuis plusieurs années, son employeur l’informe des campagnes de collecte et l’autorise à s’y rendre pour donner. Mais toutes les entreprises ne sont pas aussi engagées.

« On reconnaît l’importance du don »

Adopté par l’Assemblée nationale, le texte doit désormais passer l’épreuve du Sénat. Va-t-il permettre d’augmenter les stocks ? « J’attends de voir quel effet cela aura. Ce qui est certain, c’est que ça va faciliter le don et que ça nous fait une très belle campagne de publicité. On reconnaît l’importance du don du sang et du don de plasma, c’est primordial », assure Amandine Baron-Desvages. La responsable des prélèvements à l’Établissement français du sang (EFS) d’Ille-et-Vilaine rappelle que partout en France, « les malades s’inquiètent » à chaque pénurie de plasma. Lors de la pandémie, les importations depuis les États-Unis avaient parfois dû être stoppées. « Ces traitements, les personnes doivent les avoir à vie. Quand il n’y en a pas, alors on doit prioriser selon les maladies ».

Les dons de plasma ne sont possibles que dans les maisons du don, notamment en raison de la fragilité des machines.
Les dons de plasma ne sont possibles que dans les maisons du don, notamment en raison de la fragilité des machines.  - A. Morcillo/Hans Lucas

Les campagnes de communication amorcées depuis quelques années ont déjà permis de faire progresser les dons de 15 à 20 %. Mais il en faudra bien d’autres. Et sans doute compter sur la complicité des entreprises pour « lâcher » leurs employés pour une heure ou deux, parfois entre collègues. « On voit qu’il y a un mouvement collectif qui s’est créé. Nos salariés y vont à plusieurs, ils en parlent autour d’eux. Ça reste un geste volontaire. L’entreprise, elle n’a qu’un rôle facilitateur », assure Pierre-Antoine Monfort. Le responsable marketing de la société Grand Ouest Étiquettes estime que pour les entreprises « tout est une question de volonté ». Car « si on s’organise à l’avance », n’importe quelle absence peut être anticipée sans déséquilibrer un service. « Ça reste une heure de temps, une ou deux fois par an. L’entreprise n’est pas en danger », glisse-t-il dans un sourire.

Notre dossier sur le don du sang

Basée à Lamballe, la société affiche un taux insolent de donneurs : 33 % de ses collaborateurs y participent. Une vraie réussite. « Quand on organise des collectes en entreprise, quand on capte 5 % des gens, on est déjà contents », rappelle Amandine Baron-Desvages. En 2028, la France espère prélever 1,4 million de litres de plasma. En 2024, elle en a capté 860.000 litres. Notre pays aura besoin de libérer ses donneurs s’il veut y parvenir.