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Donald Trump qui accepte un avion du Qatar ? « C’est un acte flagrant et délibéré de corruption »

Donald Trump ne voit pas le problème et jugerait même « stupide » de refuser un tel présent : un avion offert par le Qatar. Pourtant, c’est écrit en toutes lettres dans l’article 1 de la Constitution américaine : « Aucune personne occupant une fonction de profit ou de confiance sous leur autorité ne pourra, sans le consentement du Congrès, accepter de cadeau […] d’un roi, d’un prince ou d’un État étranger. »

La polémique ne cesse d’enfler aux Etats-Unis depuis qu’un Boeing 747-8 Jumbo, estimé à 400 millions de dollars, est en passe de devenir le plus gros, le plus cher et le plus ostentatoire cadeau d’un Etat à un président américain. Le sujet est encore en « discussion », selon un porte-parole de l’ambassade de l’émirat à Washington. Mais si ce « palace volant », comme il est présenté, était accepté par Donald Trump, ce serait « une violation flagrante de la Constitution et un acte délibéré de corruption », juge Jacob Maillet, enseignant à l’université Paris Cité et spécialiste de la politique américaine.

Un bien « abracadabrantesque »

L’idée vient pourtant d’une tradition entrée dans les mœurs. Lors des rencontres officielles, les chefs d’Etat se font des présents, plus symboliques qu’autre chose. Quand Emmanuel Macron a rencontré Xi Jinping en mai 2024, il lui a offert Confucius ou la science des princes. « Des petites choses qui échappent » aux interdits de la Constitution américaine, résume Julien Boudon, professeur en droit public à l’université Paris-Saclay. Alors qu’ici, « on parle d’un bien d’une valeur abracadabrantesque ». Quand bien même ces objets ne sont pas d’une grande valeur, aucun n’est offert à la personne mais à la fonction. Ainsi, le livre donné par le président français à son homologue chinois a rejoint la Bibliothèque nationale de Chine, et non la bibliothèque personnelle de Xi Jinping.

C’est grâce à cette nuance que l’administration Donald Trump rejette les accusations de corruption. L’avion en question serait offert au ministère de la Défense américain, et non à Trump. Une fois le mandat du milliardaire arrivé à son terme, « l’armée américaine pourrait alors en faire cadeau à la fondation Trump, et finalement à Trump lui-même », analyse Julien Boudon, qui dénonce « une parade pas nette et pas acceptable ».

Corruption et impunité

D’autant que les intérêts privés du milliardaire américain au Qatar, et plus largement dans le Golfe, où il sera cette semaine, sont indéniables : la Trump Organization a signé le mois dernier un contrat pour la construction d’un golf et de résidences de luxe au Qatar. Donald Trump Junior a par ailleurs été invité à s’exprimer ce mois-ci au Forum économique du Qatar. « Il y a clairement une confusion entre les intérêts privés de Donald Trump et les intérêts publics des Etats-Unis. Il utilise sa position de président pour faire avancer ses intérêts privés ou ceux de ses amis », estime à son tour Julien Boudon.

Cependant, il semble peu crédible que quelqu’un empêche Donald Trump d’accepter ce cadeau s’il en a envie. Le Congrès a bien le pouvoir de désapprouver : démocrates comme républicains pourraient faire passer une résolution pour déclarer ce présent inacceptable. Mais uniquement sur le papier. Car dans les faits, « le parti républicain s’est tellement rangé derrière Donald Trump et le mouvement MAGA [Make America Great Again] que l’on doute de leur capacité à s’opposer », observe Jacob Maillet. L’autre garde-fou, c’est la Cour suprême. Mais là encore, « qui porterait l’affaire devant la justice fédérale sachant qu’il faut être une partie lésée pour le faire ? », souligne le spécialiste.

Un précédent glissant

Sur le plan domestique comme à l’international, ce cadeau pourrait donc créer un dangereux précédent. Sans parler des problèmes de sécurité qu’implique la construction d’un avion présidentiel par un pays tiers.

Voilà en tout cas un pas de plus dans le caractère « hors norme » de ce second mandat, s’inquiète Jacob Maillet. Selon lui, le président et son clan « agissent comme s’ils n’allaient jamais être inquiétés, même en cas d’alternance politique à la tête du pays ».

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L’attitude cavalière de Donald Trump peut aussi rebattre les cartes sur la scène internationale. En acceptant un cadeau d’une telle valeur, le chef de la Maison-Blanche enverrait un message clair au reste du monde, selon Jacob Maillet : « il est à vendre ».