Dépression saisonnière : « Avec ce temps pourri, je suis dedans depuis octobre 2023 ! »
Si la météo du moment devait être rebaptisée façon titre de film, on pourrait la renommer « Fifty shades of grey », ou « 50 nuances de gris » en version française, la dimension coquine en moins. Car depuis de longs mois, en particulier dans la moitié nord de l’Hexagone, le ciel reste désespérément bloqué dans la grisaille. Une teinte monochrome qui attaque le moral de nos pauvres âmes en manque de soleil, alors que le passage à l’heure d’hiver fin octobre est venu nous priver encore un peu plus de luminosité.
Certes, le ciel s’est paré par-ci par-là d’un peu de bleu, mais la multiplication des intempéries imprime nos esprits d’un sentiment de temps pourri perpétuel, promettant, alors qu’on n’a pas vraiment eu d’été dans une bonne partie de la France, une possible déprime saisonnière plus sévère cette année.
« La météo, c’est le thermomètre de notre humeur »
Il y a les Parisiens et tous ceux et celles qui vivent au-dessus de la Loire qui ont une impression tenace de temps pourri depuis de longs mois. C’est le cas de Gordana : « Je vis à Nancy, une région qui ne brille pas par son climat. Tous les ans, j’attends avec impatience l’été pour me ressourcer au soleil, c’est un besoin vital. Mais cette année a été particulièrement difficile, avec un printemps inexistant et beaucoup de pluie », confie la Nancéenne de 55 ans. Mais avec la multiplication des fortes intempéries, celles et ceux qui vivent dans le Sud, que le soleil gratifie davantage de sa présence, sont beaucoup aussi à partager ce sentiment. « Je suis sujette à la dépression saisonnière, confie Nathalie. Quand il pleut, c’est déjà la déprime. J’ai déménagé dans le Sud, ce qui a pas mal changé la donne, mais avec la pluie qu’il y a depuis un moment, je me croirais encore dans le Nord, c’est sans fin… »
« La météo, c’est un catalyseur de nos états d’âme, analyse Robert Zuili, psychologue clinicien spécialiste des émotions et auteur de l’ouvrage Le pouvoir des liens (éd. Mango). Notre perception de la réalité est très corrélée à notre état émotionnel : si je vais bien et que je vois qu’il fait beau, cela renforce le fait que je vais bien. Et si je vais bien et qu’il ne fait pas beau, je râle, mais cela ne m’affecte pas plus. Mais si je vais mal et que la météo est mauvaise, on voit tout en noir, et la météo maussade vient confirmer notre vision du monde. La météo est une chambre d’écho de notre état d’âme, c’est le thermomètre de notre humeur ».
Mais « statistiquement, en période hivernale, il y a moins de soleil, les jours sont plus courts, et beaucoup d’études démontrent qu’il y a une corrélation entre le sentiment dépressif ou mélancolique et la baisse du nombre d’heures de luminosité, dans le Nord comme dans le Sud », souligne le psychologue. Laëtitia, 38 ans, souffre ainsi de déprime saisonnière : « Je suis native du sud est, et j’ai aussi vécu deux ans en Nouvelle-Calédonie il y a une vingtaine d’années. Autant dire que le soleil, c’est toute ma vie ! Quand le temps devient maussade, cela a un impact énorme sur mon humeur et ma motivation. Mon entourage remarque qu’en hiver je souris moins, je suis plus lasse et fatiguée. »
Une météo particulièrement maussade depuis un an
« Moi je suis en dépression saisonnière depuis l’automne 2023 ! », souffle une lectrice. « Depuis le 15 octobre 2023, on a connu effectivement une période de dépressions météorologiques très intenses depuis l’Atlantique, confirme Paul Marquis, météorologue indépendant et fondateur d’E-Meteo Service. Depuis plus d’un an, ce flux d’ouest ininterrompu a apporté en France des perturbations en provenance de l’Amérique. En octobre 2023, il faisait encore près de 30 degrés dans le Sud, et d’un coup on a basculé dans un climat qui était totalement différent avec des perturbations quasi quotidiennes, des pluies, un temps frais mitigé. Sur une année complète, on a connu un hiver extrêmement pluvieux, un printemps très compliqué, un été maussade, surtout au nord du territoire, et des cumuls de pluie records. Soit un climat davantage semi-tropical qu’un climat français classique ».
En pratique, « il y a tellement d’humidité dans les campagnes et dans les villes qu’on a beaucoup de nuages bas, de brouillards qui se forment au nord de la Loire et au nord de Lyon, tandis que le soleil brille un peu plus quand même dans le Sud, détaille le météorologue. Donc la lumière reste quasiment absente du nord du territoire, ce qui contribue encore à créer cette sensation de mauvais temps, de temps sombre ».
Une sensation de temps maussade perpétuel renforcée par « une arrière-saison inexistante, avec un mois de septembre 2024 extrêmement pluvieux, frais et très peu ensoleillé, ce qui a contribué à cette sensation d’été un peu absent. » Ainsi, en France, le mois de septembre 2024 a été le plus pluvieux depuis ces vingt-cinq dernières années, et octobre a été 40 % plus pluvieux qu’à la normale.
A la recherche de la lumière
Pour Gordana, « la seule solution, c’est de fuir ! Dès que je le peux, je descends dans le Sud où j’ai un pied à terre. Je voyage quand j’en ai la possibilité pour avoir ma dose de soleil et me faire du bien au moral ». Partir à la recherche de la lumière : une technique plébiscitée par Sarah, 42 ans. « J’ai passé une bonne partie de mes vacances d’été sous la pluie chez moi, et sous la pluie dans le Sud, qui s’est invitée plusieurs jours au programme. La rentrée a été difficile, alors on est partis en famille une dizaine de jours dans le sud de l’Europe, reprendre un petit shot d’été. Je me sens régénérée par la luminosité ! Mais, financièrement, les vacances au soleil, ce ne sera plus avant longtemps… »
Même réflexion pour Gordana, qui réfléchit à « acheter une lampe de luminothérapie pour remédier à ce manque de lumière ». Une méthode qui a fait ses preuves depuis longtemps, notamment dans les pays scandinaves où le soleil ne brille pas ou très peu durant l’hiver, et où une large partie de la population a recours à la luminothérapie pour lutter contre la dépression saisonnière. Un choix payant pour Christophe, lui aussi sensible au phénomène de déprime saisonnière : « depuis plusieurs années, j’utilise à cette période de l’année où il fait sombre une lampe de luminothérapie : deux fois vingt minutes chaque jour, et je sens une différence notable ».
Chercher les soleils intérieurs
Autre solution : chercher une autre forme de lumière : « Les gens ternes autour de nous ne font que nous conforter dans notre perception négative des choses, relève Robert Zuili. Et comme l’émotion peut agir par « contamination positive », j’invite les gens à côtoyer plutôt des personnes lumineuses, souriantes et optimistes, qui vont leur faire du bien. Bien évidemment, si le mal-être est plus profond, il ne faut pas hésiter à consulter pour bénéficier d’un accompagnement adapté ».
Enfin, du côté des tendances météo, la lumière est peut-être au bout du tunnel : « Sur l’hiver calendaire – décembre, janvier, février – on devrait avoir un hiver plus doux et plus sec que la moyenne, ce qui pourrait apporter un peu plus de soleil que ces dernières semaines », rassure Paul Marquis. Mais on n’oublie pas de chouchouter son moral, si besoin à grand renfort de soirées raclette et de téléfilms de Noël. « Parce que qui dit hiver dit nuages bas tenaces et températures forcément plus fraîches, rappelle le météorologue. Mais l’hiver ne devrait pas être si pluvieux, et devrait être plus agréable et beaucoup moins humide que l’hiver dernier ».