Démission de Lecornu : Suspendre la réforme des retraites, un « suicide économique » ?
Élisabeth Borne a ouvert la porte à une suspension de la réforme des retraites de 2023. Selon l’article 37, alinéa 8 du Code civil, « dans la vie, rien n’est pire que l’incertitude et le flou ».

Au tribunal des flagrants délires économiques,
Un ancien dossier refait surface en cette période politique chaotique. La Macronie s’apprête peut-être à renoncer à son dernier pilier au nom du compromis : mercredi soir, Élisabeth Borne a évoqué la possibilité de suspendre la réforme des retraites de 2023, au sujet de laquelle il est impensable de céder. Selon le Parisien, Sébastien Lecornu, le Premier ministre qui ne l’est plus tout à fait, a demandé à Bercy d’analyser l’impact d’une suspension de cette réforme controversée.
Cette idée suscite des divisions. La gauche se réjouit de cette ouverture, tandis qu’à droite et parmi ceux qui soutiennent le socle commun, des inquiétudes fusent au sujet des répercussions économiques d’un tel retrait. Pour de nombreux défenseurs du maintien, revenir sur l’âge de départ causerait davantage de dommages à la France. Suspendre la réforme des retraites serait-elle un acte économique destructeur pour le pays ? Voici comment se déroulerait ce procès, en commençant par l’accusation.
Oui, la France va finir ruiner si elle renonce à la réforme des retraites
Nous allons faire preuve d’objectivité, mesdames et messieurs les jurés, et ignorer le coût factuel de l’abandon de la réforme, même si celui-ci s’élève à des milliards. C’est une question de logique mathématique : plus les actifs partent tôt à la retraite, plus il y a de retraités, plus il y a de cotisations à verser, et moins il y a d’actifs pour le faire. Qui, dans ce tribunal, oserait nier cette vérité ? Il convient de rappeler qu’avant de démissionner, Sébastien Lecornu évaluait déjà le coût des retraites à 403 milliards. Êtes-vous prêts à payer encore plus ?
Cependant, laissons de côté ce point ; ce ne sont que quelques milliards en plus ou en moins, pourrait rétorquer une défense légère. J’appelle à la barre Marc Touati, macro-économiste, qui soutient que le problème réside moins dans le coût que dans le préjudice causé à la crédibilité de la France. « Un coup incommensurable, dramatique. Comment voulez-vous que la France soit crédible si elle prend cette décision ?, interroge l’expert. Déjà que notre paysage politique donne une image ridicule du pays, il n’est pas acceptable d’afficher une augmentation des dépenses publiques tout en travaillant moins. »
Il est vrai qu’actuellement, les agences de notation adoptent une attitude patiente à l’égard de notre pays. Mais cela justifie-t-il de les provoquer encore davantage ? « Le risque, c’est qu’à partir de l’année prochaine, les notes se dégradent, avertit Marc Touati. Cela peut aller très vite. »
Ce qui pourrait rapidement se traduire par des effets sur les marchés. « Les taux d’intérêt vont augmenter, la dette deviendra encore plus difficile à rembourser, les intérêts coûteront toujours plus cher, laissant de moins en moins d’argent pour l’entretien de nos services publics, poursuit Marc Touati. Ce serait une France suicidaire. »
Notre expert économique estime que l’idée de suspendre la réforme est si incongrue et contre-productive qu’il en est convaincu : « Si un gouvernement suspendait la réforme des retraites, il serait contraint de revenir très rapidement sur sa décision. Il n’y a pas d’autre choix. » Un débat sans effet, donc, mais restons impartiaux jusqu’au bout et laissons la défense présenter ses arguments.
Faire sauter cette réforme va sauver la France, pas la tuer
A choisir entre deux mauvais choix, autant choisir le moins désastreux. C’est l’avis de Stéphanie Villers, macro-économiste chez PwC. Évidemment, la réforme des retraites aurait un coût. Entre 500 millions et un milliard pour 2026, plus de deux milliards pour 2027. Cette année-là, l’élection présidentielle pourrait relancer le débat et éventuellement retarder de nouveau l’âge de départ. « Ce ne serait donc qu’un arrêt temporaire de deux ans », argumente notre économiste, relativisant ainsi le cataclysme.
Mais quel autre choix avons-nous ? « Étant donné la situation politique actuelle, il est dans notre intérêt d’atteindre un consensus pour faire adopter un budget. Entre suspendre la réforme des retraites pour deux ans afin d’obtenir un consensus et faire un budget, ou maintenir la réforme à tout prix, la première option est clairement moins nuisible. »
Selon l’article 37, alinéa 8 du Code civil, « dans la vie, rien n’est pire que l’incertitude et le flou ». Or, c’est précisément avec cette incertitude que nous naviguons depuis des mois en économie, les effets néfastes commencent déjà à se manifester. Le CAC40 a chuté lundi après la démission de Sébastien Lecornu, et « l’incertitude demeure délétère pour les entreprises. Elles suspendent leurs investissements. En attendant que la France retrouve une direction claire, elles ne vont pas investir ici ; elles investiront ailleurs. Plus nous attendons, plus il sera tard pour les récupérer. »
Certainement, nous prenons le risque d’envoyer un mauvais signal et d’être sanctionnés sur les marchés financiers. Mais « par chance, les investisseurs étrangers et les créanciers ont déjà leurs propres problèmes internes. La situation économique en Allemagne, aux États-Unis et en Chine n’est pas non plus réjouissante. En théorie, on peut penser que le contexte géopolitique est si défavorable que les marchés ne chercheront pas à nous attaquer. »
Mesdames et messieurs les jurés, à vous de vous faire votre propre opinion.

