France

« Dehors, ils sont en danger »… Faut-il s’inquiéter du nombre important de fugues d’enfants ?

C’est une réalité qui doit interroger, questionner, peut-être même inquiéter. En France, plus de 40.000 signalements de fugues de mineurs ont été enregistrés en 2022 par les forces de police et de gendarmerie. Un chiffre très élevé, qui devrait nous alerter sur les questionnements de la jeunesse et qui a retenu l’attention des gendarmes et policiers, de plus en plus souvent mobilisés pour retrouver des enfants ou adolescents qui ont fui le domicile sans prévenir. En Ille-et-Vilaine, la gendarmerie a engagé plus de 500 opérations de recherches en 2022 pour retrouver des mineurs. Jamais les militaires n’avaient été confrontés à un tel phénomène. « Chaque opération nous demande beaucoup d’engagement et des moyens importants, avance le colonel Sébastien Jaudon, patron des gendarmes d’Ille-et-Vilaine. C’est très chronophage car il nous faut prendre chaque cas au sérieux. Les mineurs en fugue ne s’en rendent peut-être pas compte, mais ils sont en danger. » Le phénomène est-il perceptible ailleurs ? Pourquoi des enfants décident-ils de quitter leur logement ? Comment éviter qu’ils ne recommencent ? 20 Minutes s’est posé la question.

Contactée, la gendarmerie nationale assure qu’elle n’a « pas constaté d’augmentation significative du nombre de fugues sur le plan national entre 2021 et 2022 ». Le phénomène serait donc local. Les enfants et adolescents d’Ille-et-Vilaine seraient-ils plus prompts à quitter le domicile ? « En tout cas, cela peut interroger sur l’état de notre jeunesse », s’inquiète le colonel Jaudon. La raison est sans doute plus pragmatique. Depuis quelques années, la gendarmerie a adressé des « directives strictes » à ses échelons territoriaux, invitant les brigades à systématiser l’ouverture d’une enquête en cas de disparition inquiétante. « Le nombre d’enquêtes sur ce type de faits a considérablement augmenté au niveau national et le département d’Ille-et-Vilaine a fait effectivement un effort particulier de judiciarisation », assure la gendarmerie nationale.

Si le phénomène n’augmente pas, il reste bien présent. L’an dernier, 42.500 signalements de fugues ont été enregistrés en France, soit plus d’une centaine par jour en moyenne. Un chiffre stable mais qui reste « très important » pour les associations de protection de l’enfance. D’autant que ces dernières constatent un net rajeunissement des enfants quittant le domicile.

« Nous avons régulièrement des situations avec des enfants de 12 ou 13 ans, voire plus jeune », témoigne Julien Landureau.

Le responsable du plaidoyer de la fondation Droit d’enfance juge la situation « inquiétante » car elle met les mineurs en situation délicate. « La fugue est toujours un temps où les enfants sont en danger, même quand elle est courte, ajoute-t-il. Quand on est en situation d’errance, on est forcément la proie de mauvaises rencontres. La fugue doit être prise très au sérieux. »

Pourquoi les enfants partent-ils ?

Son association a été missionnée pour gérer le numéro 116.000. En vigueur dans toute l’Europe, cette ligne ouverte 24 h/24 et sept jours sur sept a été lancée en 2007 pour venir en aide aux familles d’enfants disparus. L’an dernier, elle a ouvert 1.300 dossiers de disparitions de mineurs, tentant d’aider les parents face au départ toujours très angoissant de leur enfant. « On ne recherche pas les enfants mais nos équipes sont là pour écouter, pour conseiller ». Un acte qu’il est jours très compliqué à analyser pour l’entourage du fugueur. Pourquoi ces enfants partent-ils ? Difficile à résumer même si plusieurs situations se dégagent. On parle parfois d’un acte de rébellion, de l’influence d’une mauvaise rencontre ou la traduction d’un mal-être comme lors de phénomènes de harcèlement. Certains tentent aussi de fuir un placement chez un parent ou en foyer lors d’une séparation ou veulent simplement « tester » le degré d’attachement que leur porte les adultes. Il arrive aussi, même si c’est heureusement plus rare, que des enfants fuient le domicile pour échapper à des violences, à un danger ou à un climat toxique. « On remarque qu’il y a souvent des signes avant, des changements de comportement brusques, mais ce n’est pas toujours le cas », précise Julien Landureau.

Au-delà de l’âge des fugueurs, c’est aussi le sort de ceux-ci qui inquiète la fondation Droit d’enfance, notamment concernant les jeunes femmes. Car de plus en plus souvent, quitter la maison peut avoir un lien étroit avec la prostitution. « Le phénomène est en croissance, surtout dans le cas de fugues répétées », assure Julien Landureau. Sans argent, certaines jeunes femmes sont parfois la proie d’hommes mal intentionnés qui les font basculer dans une monétisation de leur corps. « Pas sur le trottoir mais via des petites annonces en ligne ou sur les réseaux sociaux », explique la fondation.

Prendre le temps de comprendre et d’écouter

En 2022, le rapport sur la prostitution des mineurs commandé par l’État révélait ceci : « Les fugues semblent être un recours privilégié pour les mineurs pour sortir de la passivité dans laquelle les ont plongés les événements traumatiques antérieurs. Ces fugues les exposent à de nouveaux risques, entraînant une répétition des mises en danger. » Pour protéger les enfants, les auteurs du rapport préconisent « de systématiser un protocole de retour de fugues avec notamment évaluation médico-psychologique systématique ». Un conseil partagé par les forces de l’ordre et les associations de protection de l’enfance, qui tentent de recueillir les fugueurs dans un environnement sain et apaisé. « Ça ne sert à rien de brusquer, de s’énerver. Les parents doivent prendre le temps de comprendre, d’écouter, sans pour autant culpabiliser et s’énerver. La fugue, c’est souvent l’expression d’un mal-être. Il faut d’abord l’analyser », estime Julien Landureau. Avec l’espoir d’éviter la récidive.