France

Défense : Qu’est-ce que le « Foudre », ce lance-roquettes 100 % français, capable de tirer des missiles à 1.000 km ?

Son existence ne devait être révélée que lors du prochain Salon du Bourget, du 16 au 22 juin prochains. Mais les députés Jean-Louis Thiérot (LR) et Matthieu Bloch (UDR), dans un rapport parlementaire qui alerte sur l’état de l’artillerie française, ont tiré les premiers la semaine dernière, et annoncé que la jeune entreprise Turgis & Gaillard est prête à fournir à l’armée de Terre un tout nouveau lance-roquettes longue portée, 100 % français, le « Foudre ».

Placé dans un véhicule compact blindé protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), le « Foudre » est « hautement mobile ».
Placé dans un véhicule compact blindé protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), le « Foudre » est « hautement mobile ». - Turgis & Gaillard

Dans un communiqué dégainé dans la foulée de ce rapport, Turgis & Gaillard explique que le « Foudre » peut frapper « avec précision jusqu’à 1.000 km », qu’il est « aérotransportable » via un C-130 ou un A-400M, et que, placé dans un véhicule compact blindé protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), il est « hautement mobile ».

L’actuel LRU sera frappé d’obsolescence à partir de 2027

Pour en savoir plus sur ce nouvel armement, 20 Minutes a interrogé Patrick Gaillard, directeur général, et l’un des deux fondateurs de l’entreprise avec Fanny Turgis. « L’objectif numéro un était de proposer un armement mobile, avec un camion qui puisse être suffisamment compact pour être projeté par un avion de transport militaire, et se cacher facilement », explique le chef d’entreprise.

Il indique que sa société s’est positionnée sur ce segment après avoir « fait le constat de l’état de vétusté des matériels de l’armée de Terre » dans ce domaine. L’actuel LRU [lance-roquettes unitaire] sera en effet « frappé d’obsolescence à partir de 2027 », souligne le rapport parlementaire. « En plus de cela, l’armée n’en dispose plus que de sept ou huit, quand il en faudrait douze, pointe Patrick Gaillard. Il y a donc urgence. »

Une situation que ne découvre évidemment pas la Direction générale de l’armement (DGA), qui a lancé le programme FLP-T (Frappe Longue Portée – Terrestre), et confié à deux groupements momentanés d’entreprises, Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup, un « partenariat d’innovation ». Ce dernier porte sur le développement d’une « solution souveraine complète (lanceur, munitions et partie guidage/navigation) », mais qui ne serait pas opérationnelle avant 2030.

« Porter le feu loin derrière les lignes ennemies »

C’est là que le projet de Turgis & Gaillard – « complémentaire et non concurrent du partenariat d’innovation »- intervient. Cette solution « pourrait vraisemblablement être disponible rapidement et permettrait d’éviter la rupture temporaire de capacités des LRU en 2027 », souligne le rapport parlementaire.

La portée du LRU n’est par ailleurs que de 75 km, alors que les récents conflits montrent la nécessité de disposer de matériels capables d’atteindre des cibles à plusieurs centaines de kilomètres. « L’idée est de porter le feu loin derrière les lignes ennemies, pour décapiter l’adversaire, le paralyser, et éviter ainsi à tout prix l’imbrication, qui est le pire que l’on puisse imaginer dans une guerre contemporaine, on le voit sur le front en Ukraine », poursuit le directeur général. La précision du « Foudre » à 1.000 km sera « sous les dix mètres », ajoute Patrick Gaillard, pour atteindre des cibles « plutôt statiques : des zones logistiques, des postes de commandement, des centres de réparations, des ports, des aéroports… »

Un démonstrateur présenté au Bourget

En attendant que l’armée de Terre soit complètement opérationnelle pour atteindre des cibles à 1.000 km, « ce qui sera le cas dans quelques années », assure le chef d’entreprise, le « Foudre » sera capable de s’adapter, embarquant différents standards de projectiles. Il pourra ainsi « tirer six missiles d’une portée de 75 km successivement, ou un missile de croisière à 1.000 km ».

Un démonstrateur du « Foudre » sera présenté au Salon du Bourget. « Si la France décide d’acquérir ce système, nous ferons alors un deuxième prototype pour aller en phase de qualification, avant la fin de l’année 2026 », ajoute notre interlocuteur. « Une fois le matériel qualifié, nous pourrions le produire en série pour l’armée française, à partir de 2027, sachant que le besoin est évalué entre 12 et 26 engins d’ici à 2035, une quantité que l’on saurait tout à fait produire dans nos usines françaises. »

Un projet de drone remarqué

Créée en 2011, Turgis & Gaillard réalise la majeure partie de son activité dans la maintenance, mais développe de plus en plus la partie conception. Elle a déjà ainsi déjà fait parler d’elle avec son projet de drone Aarok, d’une autonomie de 24 heures, et capable d’emporter jusqu’à 1,5 tonne de munitions, ou de réaliser des missions de surveillance longue portée.

Avec le « Foudre », la jeune entreprise démontre encore sa souplesse pour concevoir rapidement des armements adaptés aux conflits modernes. « Nous faisons de l’intégration d’armement sur des plateformes qui n’étaient pas forcément prévues pour, en récupérant des briques technologiques existantes », résume Patrick Gaillard.

Notre dossier sur l’armement

La réalisation serait beaucoup plus longue et complexe « si on partait de zéro, comme le font en général les grands industriels de la défense », mais le chef d’entreprise reconnaît qu’il « faut les deux ». « On a besoin des programmes des grands industriels, car les briques technologiques sont coûteuses à développer, et à côté, il faut des gens pragmatiques comme nous, capables de raccourcir la boucle de développement, et de s’adapter à la réalité des conflits tels qu’ils se jouent aujourd’hui. » Turgis & Gaillard emploie aujourd’hui 400 personnes, et réalise 75 millions d’euros de chiffre d’affaires.