Darmanin peut-il réellement gêner les narcotrafiquants en prison ?
Entre la place Beauvau et la place Vendôme, Gérald Darmanin a trimbalé son obsession : la lutte contre le trafic de drogue. Fraîchement nommé garde des Sceaux, l’ancien ministre de l’Intérieur, a annoncé une salve de propositions censées empêcher les narcotrafiquants les plus chevronnés d’opérer depuis leur cellule de prison. Pour cela, il veut notamment généraliser le brouillage des portables et isoler en détention les trafiquants les plus dangereux.
Kim Reuflet, secrétaire permanente au sein du Syndicat de la magistrature, s’étonne de « voir un ministre qui, au bout d’une semaine, a déjà plein d’annonces à faire ». « Il y a un petit manque d’humilité par rapport à la complexité du problème, souligne l’ancienne présidente du SM. « Il n’a fait que deux déplacements et rencontré peu de professionnels de terrain. C’est pourtant ce qu’il aurait dû faire avant de proposer des choses, dont certaines existent déjà, censées régler des problèmes vieux de 20 ans ».
« Il sait que le temps est compté »
Lorsqu’il était à l’Intérieur, Gérald Darmanin a mis en place les fameuses opérations « place nette », aux résultats plus que contrastés. « Ce sont des actions court-termistes, inefficaces », insiste Kim Reuflet. La syndicaliste rappelle que le gouvernement auquel il appartient est menacé d’être censuré d’ici à quelques mois. « Il sait que le temps est compté et veut mener une action visible avec l’idée qu’il y a une attente forte en matière de sécurité. Alors il fait des annonces en disant qu’il va être plus dur avec les trafiquants, plus coercitif. Plus de prison, plus d’enfermement, plus de surveillance… Mais concrètement, c’est ce qu’ont fait tous ses prédécesseurs », observe la syndicaliste.
Les brouilleurs ? Il est vrai que de nombreux détenus parviennent à se procurer des téléphones portables derrière les barreaux. Une problématique bien identifiée par l’administration pénitentiaire qui tente d’y répondre depuis plusieurs années en installant des brouilleurs dans les établissements. « Mais c’est compliqué à mettre en place, cela coûte cher, et cela pose des problèmes pour les établissements situés dans les villes. Car ces appareils brouillent également les communications de tout le quartier, et les voisins râlent. On préfère alors mettre en place un brouillage partiel, dans certains quartiers de la détention », indiquait à 20 Minutes, en mai dernier, une source au sein du ministère de la Justice, après l’évasion de Mohamed Amra.
« Les places à l’isolement sont déjà prises »
Gérald Darmanin veut aussi isoler les « 100 plus grands narcotrafiquants écroués, ceux susceptibles d’avoir des contacts à l’extérieur pour poursuivre leurs activités criminelles », comme il l’a indiqué au Parisien. Une proposition qui se heurte, là encore, à la réalité. Samuel Gauthier, secrétaire national de la CGT pénitentiaire, remarque que « les places à l’isolement sont déjà toutes prises, soit pour protéger des détenus médiatiques, soit pour accueillir des profils très particuliers » comme des violeurs ou des pédophiles. « Il faudrait les déplacer dans la détention et cela créerait des incidents », explique-t-il. « Les mettre à l’isolement ne changerait pas forcément grand-chose car ils parviendraient quand même à se procurer un téléphone portable, grâce aux yoyos », un fil reliant plusieurs cellules par la fenêtre, permettant aux prisonniers de s’échanger des messages ou des objets.
« Il y a déjà un certain nombre de trafiquants à l’isolement, cela existe déjà », complète Kim Reuflet, ajoutant qu’il s’agit d’un « régime extrêmement strict et dur ». En créer un nouveau, comme l’a indiqué le ministre, poserait, « des questions en matière de respect de la personne humaine ».
« Discours uniquement sécuritaire »
« L’isolement peut être mis en œuvre quand c’est nécessaire. Mais la systématicité comme réponse pénale me pose problème. Il faut pouvoir adapter cette mesure au cas par cas. Les prisons sont sur encombrées, les quartiers d’isolement aussi », indique pour sa part Estelle Carraud, secrétaire générale du SNEPAP-FSU, ajoutant qu’on « ne peut pas laisser à l’isolement quelqu’un pendant de nombreuses années, avec des conditions de détention très spécifiques. Ce n’est pas comme ça qu’on prépare la sortie de ces gens qui, à un moment donné, devront réintégrer la société ».
Estelle Carraud pointe le « discours uniquement sécuritaire » de Gérald Darmanin, « destiné à répondre à des idées d’extrême droite ». « Ce qu’il nous faut, ce sont des moyens, martèle la syndicaliste. Avec le nombre de prisonniers très important, notre travail d’évaluation est beaucoup moins efficace que si on avait des conditions de travail décentes. Ce qui nous permettrait de mieux connaître des détenus, de travailler avec eux, de voir leur évolution, de mettre en place un accompagnement. »