France

Cyclone Chido : « Loin d’être une perte de contrôle »… Ce que les grossièretés de Macron à Mayotte signifient

Chemise blanche et manches longues relevées, Emmanuel Macron s’est confronté à des Mahorais livrés au désespoir et en colère, ce jeudi à Mayotte, cinq jours après le passage du cyclone Chido qui a dévasté l’île française du pacifique. « N’opposez pas les gens. Si vous opposez les gens, on est foutus. Parce que vous êtes contents d’être en France. Car si ce n’était pas la France, vous seriez 10.000 fois plus dans la merde », a lâché le président de la République, définitivement pas effrayé à l’idée de s’exprimer avec quelques grossièretés.

Et cela semble être récurrent chez lui, entre le « pognon de dingue » des minimas sociaux et « ceux qui foutent le bordel », pour ne pas mentionner les dernières révélations faites par Le Monde sur son vocabulaire, immédiatement démenties par l’Elysée. Pourtant, en public, le président nous a également gratifiés de quelques mots largement désuets, tels que « croquignolesque » ou « ripoliner ».

Aussi, à 20 Minutes, nous nous sommes interrogés sur le registre de langer employé par Emmanuel Macron en fonction du contexte et avons contacté Florent Moncomble, linguiste et enseignant-chercheur à l’université Artois d’Arras, pour qui « il s’agit moins de jargon que de l’emploi d’un répertoire argotique », emplit de grossièretés, reflet « d’un certain sentiment d’impunité ».

De « croquignolesque » à vous « seriez dans la merde », il y a une sorte de grand écart linguistique… Combien de registres manie Emmanuel Macron ?

Cette façon de naviguer d’un répertoire à un autre, de les mélanger, de passer d’un langage tout à fait conforme de ce qu’on attend d’une personnalité politique de premier plan, et d’un seul coup passer sur un répertoire plus familier, est ce qu’on retrouve chez des gens qui ont bénéficié d’un haut niveau d’éducation, ce qui est le cas d’Emmanuel Macron et presque tous les dirigeants politiques.

Et c’est une chose que peuvent faire avec un certain sentiment d’impunité les personnes qui jouissent déjà d’un certain statut, d’un certain prestige : Si je suis président de la République, mais aussi chef d’entreprise, bref que j’ai une position bien assise dans la société, je peux me permettre ces écarts de langage sans qu’il risque de m’arriver grand-chose, à l’inverse des gens ordinaires, les salariés, en position de subordination économique, sociale, professionnelle pour qui cela peut être sanctionné.

Cette variation des répertoires est-elle alors une manière de parler à tout le monde, au plus grand monde ?

C’est l’impression qu’on peut avoir, a priori. C’est l’idée qu’on se fait du style oratoire de Trump. Mais ça me paraît plus compliqué que ça. Macron n’est pas le premier d’ailleurs, on se souvient par exemple du « casse-toi pauvre con » de Nicolas Sarkozy.

Généralement ce sont des jeux de répertoire qu’on va retrouver adressés à l’encontre d’une population dite populaire. Quand Emmanuel Macron parle des « aides sociales qui coûtent un pognon de dingue », dans une conversation postée sur Twitter par les services de l’Elysée, il critique des dispositifs qui bénéficient aux classes populaires. Sa sortie, en 2017 déjà, sur « ceux qui foutent le bordel », est aussi une phrase contre les classes populaires. Donc il s’adresse à eux, mais pas pour eux, et ce serait difficile d’affirmer qu’il emploie ce langage pour se rendre populaire auprès de ces personnes.

Ce « parler populaire » est-il relativement nouveau dans la sphère politique qui tendrait au populisme ou cela se voit-il juste davantage ?

Ce serait plus à des politistes de se plonger dans l’histoire de la parole politique. A première vue, cela paraît difficile de généraliser. Trump n’est pas Macron, malgré tout. Chez Trump on peut penser qu’il y a le souci de passer pour un homme ordinaire alors qu’il est milliardaire. Emmanuel Macron tresse plutôt une image d’homme providentiel, et cultive cette image d’homme exceptionnel, au destin exceptionnel. Donc qu’il ait ce souci de passer pour un homme du peuple ne me paraît pas évident.

Ce sont souvent des propos qui sont filmés dans des situations informelles, est-ce qu’on peut imaginer une forme de double discours ?

Il y a assurément une grande différence entre un discours qui a été scripté, travaillé à l’avance, avec une parole beaucoup plus contrôlée, et une conversation à huis clos dans son bureau et un échange que des caméras de TV ont pu surprendre ou un moment où il a perdu patience avec des habitants de Mayotte.

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On peut y voir une forme de perte de contrôle, et aussi ce sentiment d’impunité qu’on retrouve chez les personnes puissantes qui se pensent comme étant en haut de la chaîne alimentaire. Mais Emmanuel Macron a une grande maîtrise du langage et il en fait un usage généralement très réfléchi. Donc je suis loin d’être convaincu d’une perte de contrôle totale sur sa parole lorsqu’il lâche des choses comme ça.

Reste qu’Emmanuel Macron se mêle assez facilement aux foules pour parler, ici à Mayotte mais aussi à Marseille, à Bassens ou la Castellane. Cela témoigne-t-il donc de son aisance linguistique ?

Il a un côté caméléon en linguistique, c’est certain. Mais c’est parce qu’il est très visible et très médiatisé. En réalité, on est tous des caméléons en termes sociolinguistiques. On adapte tous notre parole selon les contextes. On en a juste là une manifestation plus visible.

Peut-être qu’on s’attend à ce qu’un président de la République ait un discours qui soit toujours le même et effectivement, depuis Nicolas Sarkozy, on voit des dirigeants qui ont une parole plus malléable, plus mouvante qui ne correspond peut-être pas à l’idée que certains se font de la fonction. Mais je ne suis pas sûr que 100 % de la population soit scandalisée par ces prises de parole, il y a sans doute des gens à qui ça plaît.