France

« Cuire, fuir ou agir » : Comment Paris se prépare à vivre sous 50 degrés (ou à l’éviter)

Les climatologues le disent : à l’horizon 2050, la capitale pourrait connaître des températures frôlant les 50 degrés. Après tout, un village du Canada, situé à la même latitude que Paris, a connu une température de 49,5 degrés en 2021. Vingt-quatre heures plus tard, le village était détruit par les incendies provoqués par cette canicule hors norme. Faudra-t-il fuir la mégapole bitumée dans 10 ans ?

C’est pour éviter une telle situation que les élues et élus parisiens se sont penchés pendant six mois sur le sujet au cours d’une mission d’information et d’évaluation (MIE) présidée par Alexandre Florentin, du groupe Les Écologistes. « Je veux pouvoir continuer de vivre à Paris, j’aime la ville, je n’ai pas envie d’y cuire ou de devoir fuir », prévient le président de la MIE, qui poursuit : « Il y avait une probabilité très faible qu’une telle canicule arrive en 2021 au Canada. Par rapport à cette incertitude, soit on ferme les yeux et on croise les doigts en attendant que ça arrive, soit on s’y prépare. En anglais on dit     
«  »hope for the best, plan for the worst » : ‘’espérer le meilleur, se préparer au pire’’. »

Un plan « Grand Chaud »

Le rapport sur lequel ont travaillé des élus de tous bords et que 20 Minutes s’est procuré formule 85 propositions, avec des mesures pour planifier sur le long terme, mais aussi des actions concrètes à effet immédiat pour faire face aux canicules de plus en plus nombreuses l’été à Paris. Car il y a une forme d’urgence, la ville connaissant déjà, par endroits, des températures difficilement soutenables pour le corps. « Paris a déjà connu du 50 degrés, fait remarquer Alexandre Florentin. Place de l’Opéra en plein cagnard, devant un fast-food qui rejette sa clim’, devant un parking souterrain… L’été dernier, il y avait 36 degrés dans une classe dans le 13e à Paris. Vous avez quatre fois plus de chances de mourir pendant une canicule si vous habitez au dernier étage .»

De ces discussions ont émergé les prémices d’un plan « Grand chaud », sur le modèle du plan « Grand froid », sachant que les personnes sans domicile meurent tout autant l’été que l’hiver. Ce plan préconise d’organiser l’accès à des espaces refuges l’été pour les sans-abri, mais aussi pour toutes les personnes dont le logement devient inhabitable en période de canicule, parce qu’ils habitent sous les toits par exemple. La mission recommande aussi d’établir une « carte des lieux rafraîchis » et de la diffuser à la population, tout en élargissant les horaires d’ouverture de ces lieux.

Les acteurs privés pourraient également être sollicités, une solution mise en avant par la droite parisienne notamment : « Les choses les plus simples sont les plus efficaces. A ce stade, il n’y a pas d’accord avec le Monoprix de la place d’Italie pour permettre à des personnes de venir s’installer sans risquer d’être mises dehors. Un clochard qui se pointe dans un magasin, le vigile le met dehors. Conclure des accords avec des grandes surfaces cela ne serait pas compliqué et ça serait beaucoup », commente Elisabeth Stibbe, du groupe Changer Paris, qui juge « inacceptable que des gens meurent de chaud ».

Miser sur « les bons vieux volets »

Outre ce Plan Grand Chaud, la ville pourrait rapidement encourager des mesures simples et peu coûteuses pour réduire la température dans les bâtiments, comme l’installation de volets extérieurs ou la plantation de plantes grimpantes sur les bâtiments : « Les bons vieux volets, un coup de peinture blanche, des pergolas… Ce ne sont pas des mesures high-tech », commente le président de la MIE, qui estime que Paris doit observer comment fonctionnent les villes du Sud : « On n’a pas la culture du chaud, il va falloir très vite qu’on s’améliore dans cette compréhension-là. »

Une attention toute particulière a été apportée aux travailleurs qui sont dehors l’été, notamment celles et ceux qui sont employés par la mairie. Pour eux, et notamment sous l’impulsion du groupe communiste, la ville propose de s’assurer de la mise à jour régulière du plan canicule. « Les agents des espaces verts et ceux qui travaillent sur la voirie doivent aujourd’hui travailler dans les heures les plus chaudes. Nous voulons que la ville adapte encore plus les horaires », explique Nicolas Bonnet, président du groupe communiste. Le groupe a aussi insisté pour que le nombre de baignades accessibles à Paris l’été soit augmenté, sur le modèle du bassin de La Villette.

Protéger les arbres, végétaliser, débitumer

Outre ces mesures d’urgence le rapport insiste pour que la ville anticipe dès maintenant les actions qui mettront plus longtemps à éclore, et que soient préservés les acquis. Il préconise ainsi de renforcer la protection des arbres parisiens inscrits à l’inventaire des arbres remarquables, « en prohibant notamment leur abattage, sauf motifs sanitaires et de sécurité ». « Les arbres anciens font plus d’ombre et amènent plus de fraîcheur » commente Véronique Baldini, du groupe Changer Paris (LR), qui porte avec constance depuis plusieurs années le sujet des arbres à Paris.

Pour faire face aux températures dignes d’une fournaise, la ville devra se végétaliser davantage, fait valoir le rapport, qui préconise de débitumer les cours d’école et de créer « une placette oasis par quartier ». « L’idée c’est de réouvrir beaucoup de fontaines, de mettre des ombrières en suivant le modèle des places à Madrid ou Séville. Et il faut une accélération du ‘’Paris végétal’’ contre le ‘’Paris radiateur’’, c’est ce qui rafraîchira la ville », commente Maud Lelièvre, du groupe Modem, Démocrates et Ecologistes et rapporteuse de la MIE.

« Révolution haussmannienne à l’envers »

Il faudra aussi une véritable « révolution haussmannienne à l’envers » ajoute la rapporteuse, en favorisant la rénovation énergétique des bâtiments à grande échelle et en utilisant la commande publique pour imposer au secteur du bâtiment sur tous les projets financés par la Ville une « clause ICU », pour « Ilot de chaleur urbain », du nom de ces microclimats artificiels provoqués par la ville. Cette clause instaurerait un seuil d’albédo maximal obligatoire (le pouvoir réfléchissant d’une surface), en « favorisant par exemple la végétalisation en pleine terre » et en imposant « l’isolation du bâti ». Dans l’optique de cette préparation de l’avenir, la MIE préconise également d’inciter à la mise en place d’une hauteur sous plafond minimum de 2m70 et à la création de logements traversants « dans toute nouvelle construction ».

Quel financement ?

A l’issue de ces six mois de travail, tous les groupes politiques semblent satisfaits du résultat mais le Groupe Communiste et Citoyen et le groupe Changer Paris pointent cependant l’absence de financement dédié. « Nous nous sommes mis d’accord sur la création d’un fonds européen pour financer la transition écologique, mais nous pensons que nous aurions pu demander plus de libertés financières à l’Etat », fait remarquer Nicolas Bonnet, auteur avec l’adjoint à la mairie en charge du budget Paul Simondon d’un rapport listant de nombreuses pistes pour dégager de nouvelles sources de financement. « Il n’y a pas de plan d’investissements », regrette aussi Elisabeth Stibbe. « Le rapport dessine une feuille de route, mais ne dit pas comment l’argent va être trouvé ». « Les missions d’information chiffrent peu, ce n’est pas leur rôle », leur répond Maud Lelièvre.

Ce qui n’empêche pas la rapporteuse d’être consciente de l’urgence de la situation. « En 2003 nous avions une forme d’impréparation, aujourd’hui on a appris des choses, on ne peut plus attendre », commente Maud Lelièvre, qui estime que « chaque euro investi doit être imaginé et pensé en fonction de ce Paris qui va être surchauffé ».