France

Crise de la natalité : « Avec le manque d’actifs, l’ère du travailleur roi… mais pauvre »

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la France n’a jamais fait aussi peu d’enfants, et les entreprises vont bientôt subir l’impact de la dénatalité. Selon une note publiée le 28 octobre par le Haut-commissariat à la stratégie et au plan, il y a déjà une stagnation de la population active et le nombre d’actifs va diminuer aux alentours de 2035.

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la France n’a pas connu un taux de natalité aussi bas. Les cours de récréation résonnent de manière vide, les écoles se vident et les entreprises continueront cette tendance. La dénatalité aura pour effet d’impacter de manière significative le marché du travail, rendant les travailleurs de plus en plus rares et recherchés. Toutefois, cette situation risque également d’entraîner un appauvrissement si des mesures urgentes ne sont pas mises en place.

C’est l’objet d’une note du Haut-commissariat à la stratégie et au plan, intitulée Décrochage démographique : cinq révolutions du marché du travail, publiée le 28 octobre et dirigée par Antoine Foucher, expert en questions sociales et ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail entre 2017 et 2020. La fin du chômage, l’évolution du concept de client roi et la disparition des carrières à vie sont envisagées. La dénatalité n’annonce pas de bonnes perspectives pour les actifs. Entretien.

Antoine Foucher s'est penché sur les impacts de la dénatalité sur le monde du travail.
Antoine Foucher s’est penché sur les impacts de la dénatalité sur le monde du travail.  - NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Votre note établit clairement qu’il est déjà « trop tard » pour faire face à la pénurie de travailleurs d’ici 2035 ?

Nous obserçons déjà une stagnation de la population active, et certains secteurs manquent de travailleurs, comme l’éducation, la médecine et l’hôtellerie. Vers 2035, le nombre d’actifs va même diminuer, créant plus de tensions sur le marché du travail.

Cette réalité est inéluctable. Même si des politiques natalistes étaient mises en œuvre, elles ne produiraient des effets que dans 25 à 30 ans pour le marché du travail. Il n’est pas possible de préparer des bébés pour qu’ils aient 15 ans aujourd’hui et qu’ils soient prêts à travailler dans dix ans. Les futurs actifs de 2035 sont déjà nés, et les chiffres montrent qu’ils sont insuffisants. L’unique moyen de compenser serait par une immigration massive, mais les politiques actuelles ne s’orientent clairement pas dans cette direction.

Votre note affirme que la question du chômage, qui a tant préoccupé la France, est vouée à disparaître, offrant ainsi plus de bénéfices aux salariés.

Concrètement, avec la crise de la natalité, nous manquerons de travailleurs bien avant de manquer de travail. Le chômage sera une chose du passé. Cela représente une bonne nouvelle pour les salariés mais une mauvaise pour les entreprises : le rapport de force évoluera.

Nous le constatons déjà : parmi les 16 millions de salariés en CDI dans notre pays, environ 2 millions démissionnent chaque année, et 500 000 choisissent une rupture conventionnelle. Cela représente un salarié sur six quittant son CDI chaque année. Dans une TPE de 15 personnes, cela représente deux départs volontaires par an, soit 15 dans une entreprise de 100 personnes. Et ce n’est pas pour abandonner le travail, mais pour rechercher de meilleures conditions : 86 % des « démissionnaires » retrouvent un CDI six mois après. Jamais la France n’a connu un turnover aussi élevé. Ce n’est que le début.

Les entreprises doivent s’y adapter, sinon celles qui ne joueront pas le jeu seront confrontées à de grandes désillusions. Il sera nécessaire de s’ajuster et d’être beaucoup plus conciliant sur les conditions de travail – horaires flexibles, journées de récupération, télétravail – ou sur les salaires, mais les marges de manœuvre seront limitées.

Quelles solutions envisager pour certains métiers difficiles, comme l’hôtellerie et ses horaires décalés ?

Le rapport de force ne changera pas uniquement entre l’entreprise et le salarié, mais également entre le salarié et le client, le salarié devenant désormais roi. Les restaurants et autres services fermeront plus tôt, justifiant cette décision par le bien-être de leurs employés. Le client devra s’adapter à une offre moins large et moins orientée vers son confort.

Une autre alternative pour les métiers difficiles est de les rendre temporaires. Avec le plein emploi, les dépenses d’assurance chômage diminueront, et ces fonds pourraient être redirigés vers des formations. Des métiers exigeants, comme ceux de l’hôtellerie, pourraient proposer par exemple des contrats de trois à cinq ans suivis d’une année de formation pour se reconvertir complètement, rendant ces emplois plus attractifs.

« En travaillant trois ans de plus en 2035, on gagne 2,5 millions de travailleurs et on repousse le problème de dix ans. »

Nous observons déjà 500 000 travailleurs changer de métier chaque année, soit cinq millions en dix ans, représentant un sixième des actifs. À terme, tout le monde aura changé de carrière au moins une fois dans sa vie. C’est aussi un moyen d’accepter l’allongement du temps de travail : ne pas rester dans le même métier toute sa vie. Il est crucial de faciliter l’accès à la formation. Le modèle de la « carrière à vie », non seulement dans une entreprise mais aussi dans une profession, est en train de disparaître.

La dénatalité pourrait également avoir des conséquences néfastes pour les salariés…

La pénurie d’actifs peut entraîner une augmentation des charges à payer en faveur des « inactifs », mais les cotisations de retraite des salariés sont déjà très élevées, et il est difficile d’envisager d’augmenter encore ces prélèvements. Cela pourrait également conduire à une réduction massive des retraites, ce qui serait mal perçu électoralement, ou à un allongement de la durée du travail. Ce dernier choix a l’avantage de partiellement résoudre la pénurie de main-d’œuvre. En travaillant trois ans de plus en 2035, nous pourrions augmenter de 2,5 millions le nombre de travailleurs et retardons le problème d’une diminution du nombre d’actifs de dix ans.

Actuellement, nous partons à la retraite en moyenne trois ans plus tôt que dans les autres pays européens, donc ce serait simplement un retour à la normale. Le risque réel lié à la dénatalité est un appauvrissement du pays. En 1975, la France était classée 5e en termes de PIB par habitant, elle se retrouve désormais à la 26e position. Sans allongement de la durée du travail, nous aurons un salarié roi, mais appauvri.

La classe politique est-elle consciente de ces bouleversements à venir ?

Les paradigmes politiques n’ont pas évolué depuis plusieurs décennies et ne sont plus adaptés à la réalité actuelle. Les discours sur le chômage ou une prétendue paresse généralisée ne correspondent plus à la situation. Le taux d’emploi, c’est-à-dire le ratio entre le nombre de personnes travaillant et celui des personnes en âge de travailler, n’a jamais été aussi élevé depuis 1975.

Un discours abordant les défis contemporains – salaire net insuffisant, dénatalité, manque de formations – plutôt que les fantômes du passé émergea progressivement. Si la vérité n’est pas dite aux citoyens, ils ne s’engageront plus dans l’offre politique.