Crise à l’hôpital : « J’étais un Don Quichotte qui brassait les problèmes, sans fin », se rappelle une ex-urgentiste
«J’avais l’impression d’être Don Quichotte sur son cheval qui brasse les problèmes les uns après les autres, sans fin, raconte Victoria, médecin urgentiste qui a quitté son poste de titulaire à Bordeaux, en 2018. C’était épuisant et pas en adéquation avec ce que je voulais faire en tant que médecin. » Beaucoup d’autres médecins urgentistes démissionnent et sans eux, les services ne peuvent pas fonctionner.
Résultat ? Des hôpitaux, principalement en dehors des grandes villes dotées de CHU, se retrouvent à fermer leurs urgences la nuit, au dernier moment. A Laval, en Mayenne, le service des urgences a été fermé une nuit sur trois en septembre. Le service d’urgence de la polyclinique Côte Basque Sud à Saint-Jean-de-Luz et celui de l’hôpital de Bergerac, en Dordogne, par exemple, enchaînent eux aussi les fermetures depuis la rentrée, après un été marqué par des fermetures ponctuelles, partout en France.
Le « scandale de ceux qui sont renvoyés chez eux »
« Ce n’est pas la pénibilité du travail qui fait démissionner les médecins urgentistes mais l’impossibilité de pratiquer la médecine d’urgence dans des conditions de qualité et de sécurité respectées », tient à préciser d’emblée Agnès Ricard-Hibon, porte-parole du syndicat Samu-Urgences de France. « Les urgentistes de mon équipe avaient tendance à faire ressortir un patient s’ils estimaient qu’ils ne relevaient pas d’une urgence, raconte Victoria. Moi, je me sentais en difficulté, car quand je me suis engagée dans la médecine c’était pour prendre en charge les patients de façon optimale et globale. »
Le docteur Patrick Pelloux, fondateur de l’association des médecins urgentistes de France, ajoute qu’après trente-cinq ans de métier, il ne sait « toujours pas ce que c’est qu’une urgence ». Une formule volontairement provocante pour parler du « scandale de ceux qui sont renvoyés chez eux et qui y meurent. » Dans certains cas, des symptômes anodins à première vue, peuvent parfois cacher de graves pathologies.
Et ces patients qui « encombrent », selon certains, les urgences et participent aux dysfonctionnements ? « Quand on est débordés, on dit que certains patients n’y ont pas leur place mais les urgences doivent jouer un rôle de porte d’entrée dans les soins, rétorque Victoria. Tout le monde se cache un peu derrière sa spécialité pour ne pas prendre en charge le patient « tout-venant » alors qu’il ne trouve pas de médecin, ne sait pas s’orienter dans le parcours de santé ou ne peut pas avancer les frais. »
Cette praticienne estime que le discours officiel des autorités ne cadre pas avec la réalité de ce qu’elle a vécu aux urgences : « la majorité des gens ont vraiment des problèmes graves qui nécessitent une hospitalisation. La part de ce qu’on appelle la « bobologie », ce doit être 20 % des passages. » « Nos services sont engorgés par des patients qui ont besoin d’une hospitalisation et pour lesquels on ne trouve pas de lits d’aval. Un service d’urgences n’est pas un service d’hospitalisation, poursuit Agnès Ricard-Hibon. Il faut des boxes disponibles pour accueillir les nouveaux patients. »
« Le législateur rend responsable le docteur »
Dans ce contexte des patients se retrouvent des heures voire des jours à patienter sur un brancard. « On a publié une étude baptisée « No bed night » dans la revue JAMA Internal Medicine le 6 novembre 2023 qui montre que quand une personne de 75 ans et plus passe une nuit sur un brancard, on a une mortalité aggravée de 40 % », rappelle encore la porte-parole de Samu-Urgences de France. « C’est ça qui fait démissionner les docteurs, c’est insupportable de participer à la maltraitance institutionnelle des patients, ajoute-t-elle. On fait ce qu’on peut à notre échelle, mais le reste ne dépend pas de nous. Pourtant, les plaintes retombent sur nous. »
« Le législateur rend responsable le docteur et après l’hôpital, abonde Patrick Pelloux. Ceux qui sont inquiétés, la première chose qu’ils font, c’est qu’ils démissionnent. » A la clé, ce sont des fermetures de services d’urgences la nuit, de façon précipitée. « Elles sont très problématiques car elles sont brutales, souvent perlées et parfois non anticipées, et les premières victimes sont les patients. »
Des solutions travaillées avec Agnès Buzyn
« Or des solutions existent. On les a travaillées avec Agnès Buzyn qui était alors ministre de la santé en 2019 dans le cadre du pacte de refondation des urgences, pointe Agnès Ricard-Hibon. Celui-ci préconise un meilleur équilibre entre les lits réservés pour l’activité programmée sur rendez-vous et l’activité non programmée d’aval des urgences. » En établissant un indicateur de besoin journalier minimal en lit, il est possible d’avoir des prédictions en fonction des saisons pour anticiper les besoins. « Dans les établissements où il est mis en place, cela fonctionne », ajoute-t-elle.
Plus d’infos sur le crise des urgences
Victoria a choisi de revenir à l’hôpital public quelques années après sa disponibilité. Elle travaille actuellement dans une direction hospitalière en région parisienne, au sein de laquelle elle accompagne des projets de transformation des services de l’hôpital public, dont les urgences. Elle assure aussi des consultations de médecine générale pour les patients en précarité qui lui ont permis de redonner du sens à son métier.