France

Covid, 5 ans après : Comment cette nouvelle unité « post-urgence » tente d’éloigner les ados du suicide

C’est une des conséquences des confinements dus au Covid-19, que les hôpitaux payent encore aujourd’hui. Depuis 2021, les services des urgences pédiatriques subissent « une augmentation préoccupante du nombre de passages et d’hospitalisations de mineurs en psychiatrie », relève le centre hospitalier Charles-Perrens à Bordeaux.

Les urgences pédiatriques du CHU de Bordeaux ont ainsi constaté une hausse de 70 % des passages entre 2020 et 2023. Idem pour le nombre de séjours hospitaliers d’enfants. Le service d’évaluation de crise et d’orientation psychiatrique (Secop) de l’hôpital Charles-Perrens a de son côté accusé durant la même période une hausse de 60 % des passages de mineurs. Si le harcèlement scolaire prend une part importante de cette hausse, les conséquences de l’isolement dû au Covid-19 y sont aussi pour beaucoup.

« Faire en cinq jours ce qui est fait en deux-trois semaines dans d’autres services »

Cette affluence massive vers les structures de soins en psychiatrie, « engendre un engorgement des unités d’hospitalisations, et une dégradation de l’état clinique des adolescents », poursuit l’hôpital Charles-Perrens. C’est ainsi que le centre hospitalier a créé début décembre l’unité de soins brefs pour adolescents (USB-A), toute nouvelle structure « post-urgence », dans le but de fluidifier le parcours de soins des mineurs. Equipée de huit lits, elle accueille les adolescents âgés de 11 à 16 ans de tout le département de la Gironde, pour des séjours de cinq jours.

Equipée de huit lits, l'unité accueille les adolescents âgés de 11 à 16 ans, pour une durée de cinq jours.
Equipée de huit lits, l’unité accueille les adolescents âgés de 11 à 16 ans, pour une durée de cinq jours. - M.Bosredon

« C’est un délai intermédiaire entre les urgences, où les enfants arrivent au moment d’une crise aiguë, et où ils vont rester généralement quelques heures, et une hospitalisation, où ils restent parfois plusieurs semaines, explique le professeur Manuel Bouvard, chef du Pôle universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Charles-Perrens. Cinq jours, c’est un temps suffisant pour analyser ce qui va retomber, et ajuster l’orientation, alors qu’aux urgences, ils arrivent dans un contexte de tension, où il n’y a pas qu’eux à traiter, or en psychiatrie, on a besoin d’un peu de temps. »

Cela entend tout de même d’être « très réactif pour leur apporter un maximum d’aide en peu de temps », pointe Mathias, aide-soignant à l’USB-A. « On essaie de faire en cinq jours ce qui est fait en deux-trois semaines dans d’autres services », complète Mathilde Degrave, l’une des deux médecins pédopsychiatre de l’unité.

Scarifications

Ces adolescents « viennent pour la plupart en raison d’idées suicidaires ou pour des tentatives de suicide, explique Mathilde Degrave. Nous avons aussi une partie des patients qui arrivent pour des troubles anxieux d’intensité sévère. » « Les cas de scarification sont assez fréquents, avance également Mathias, car c’est le moyen que les ados trouvent pour sortir de leurs pensées, oublier leurs idées suicidaires. Nous essayons alors de les isoler, de les couper de l’extérieur pour les recentrer sur eux, pour faire qu’à la sortie, ces scarifications s’arrêtent, ou a minima s’abaissent. »

« Quand on creuse un peu, derrière tout cela, il y a beaucoup de psychotraumatismes complexes, et des enfants qui ont souvent des dynamiques familiales complexes », analyse Mathilde Degrave. C’est pourquoi la famille est placée au cœur du dispositif thérapeutique de l’USB-A. « L’adolescent est accueilli avec sa famille, et nous organisons trois entretiens avec elle durant le séjour de cinq jours, c’est beaucoup, explique la pédopsychiatre. Un enfant sans sa famille, on n’en fait pas grand-chose, et si on ne travaille pas avec elle, le risque est qu’elle n’ait pas les outils pour accompagner son enfant, et que la situation se dégrade. »

Après avoir passé des entretiens médicaux, rencontré une assistante sociale et psychologique, le travail au sein de l’unité durant ces cinq jours doit leur permettre de « retourner le plus vite possible chez eux, en s’appuyant sur les structures ambulatoires comme les centres psychologiques et les médecins libéraux », poursuit la médecin. Mais dans les cas les plus sévères, une hospitalisation peut néanmoins s’avérer nécessaire.

« Nous allons payer la crise du Covid encore très longtemps »

Une grande partie des jeunes passés par l’unité depuis le mois de décembre, « est victime de harcèlement scolaire, ou l’a été dans les années précédentes » pointe Mathilde Degrave. Mais la médecin confirme que la crise du Covid-19 et ses confinements en 2020-2021, « ont accentué un phénomène global, car il y a eu beaucoup d’isolement des jeunes durant cette période ».

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« Les premiers moments où l’on a repéré une hausse des prises en charge psychiatriques chez les adolescents aux urgences remontent à 2015, puis il y a eu un afflux avec le Covid, puisque les chiffres ont été multipliés par quatre en un an », appuie Manuel Bouvard.

« Nous restons encore aujourd’hui à un niveau très élevé, c’est loin d’être fini, poursuit-il, et nous allons payer la crise du Covid encore très longtemps, avec ces gamins qui ont décroché scolairement, et qui ont été victimes ou témoins de violences familiales, durant et après le confinement. » Le chef du Pôle universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent se dit même « inquiet de ce que vont devenir ces jeunes dans dix ans ».