France

Covid-19 : Alexandra Henrion Caude, de l’Inserm aux bancs des covido-sceptiques

Elle arrive, une liasse de feuilles à la main, avec des passages surlignés au fluo : ce sont huit articles de 20 Minutes dans lesquels notre journal a vérifié certaines de ses affirmations. Alexandra Henrion Caude tient à préciser un point, dans un article paru en 2021. Nous écrivions alors que l’Inserm s’était désolidarisée d’elle, en reprenant une information de LCI. « L’Inserm n’a pas pu se désolidariser de moi dans la mesure où je ne suis plus leur employée depuis août 2019, ayant fait la demande d’une retraite anticipée », lance cette ancienne chercheuse, lorsque nous la rencontrons dans les locaux de sa maison d’édition.

Pourquoi tant d’importance sur ce point ? C’est peut-être parce qu’elle est devenue depuis près de trois ans une des cautions scientifiques des opposants à la vaccination contre le Covid-19. Ce passé de généticienne est également mis en avant par la maison d’édition Albin Michel, où elle vient de publier Les Apprentis sorciers, tout ce que l’on vous cache sur l’ARN messager. L’occasion de lui demander si elle est vaccinée contre le Covid-19. Alexandra Henrion Caude évoque alors « le secret médical », puis lance une boutade.

En préambule, Albin Michel avance que ce livre, dont la sortie a été notamment accueillie par Florian Philippot, « ne doit pas être considéré comme une incitation au refus de la vaccination ». Pourtant, Alexandra Henrion Caude y dresse un tableau peu flatteur de la vaccination avec l’ARN messager. Elle y évoque notamment la possibilité que l’ARN vienne modifier l’ADN. Un scénario écarté par les scientifiques, en l’état actuel de nos connaissances.

La maison d’édition assure auprès de 20 Minutes que « ce livre a fait l’objet de relectures scientifique et juridique », avant de sembler prendre quelques distances : « Le travail de l’éditeur est ainsi de pointer les questions qui peuvent se poser, mais c’est l’auteur qui décide in fine de son propos et l’assume. A fortiori lorsqu’il s’agit d’une scientifique spécialiste de son sujet. »

« Ses prises de position et sa parole ne reflètent aucunement celles de l’Inserm »

Alors, Alexandra Henrion Caude est-elle spécialiste et qualifiée sur l’ARN messager ? « Pour parler d’ARN messager, au sens de ce qu’est qu’un ARN messager, pas plus que n’importe quel étudiant scientifique », répond une personnalité qui l’a cotoyée. Et pour évoquer le rôle de l’ARN messager en thérapie ou en vaccination ? « Elle n’a jamais travaillé sur l’immunité, sur les infections, sur la vaccination, sur l’ARN messager comme molécule thérapeutique », ajoute cette personnalité.

En déroulant la liste des publications scientifiques d’Alexandra Henrion Caude, il n’y en a effet pas de publications sur l’ARN messager. Pour un chercheur, quel que soit son domaine de recherche, ce sont en effet les travaux publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture qui attestent de son travail. La généticienne a en revanche publié sur les microARN et la mitochondrie. En 2012, ses travaux menés avec le CHU de La Réunion sur une maladie héréditaire de l’île font l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Pnas.

Après un doctorat sous la responsabilité du généticien Axel Kahn et un post-doctorat à la Harvard Medical school, Alexandra Henrion Caude a fait l’essentiel de sa carrière à l’Inserm. Elle s’y est un temps occupée, dans les années 2010, d’une base de données répertoriant les gènes. Elle s’est finalement mise en disponibilité de l’institut en 2018 « pour convenance personnelle » selon l’Inserm, avant d’en prendre sa retraite en août 2019. L’institut prend dorénavant ses distances avec son ancienne employée : « Ses prises de position et sa parole ne reflètent aucunement celles de l’Inserm et ne recueillent pas l’assentiment du collectif scientifique de l’Inserm. »

Le masque comparé à un mouchoir

Comment une chercheuse est-elle passée du laboratoire aux estrades aux côtés de Francis Lalanne ou de Jean-Marie Bigard ? En juillet 2020, elle accorde une interview à la Web télé d’extrême-droite TVLibertés. L’interview est vue deux millions de fois. Alexandra Henrion Caude y compare le port du masque à celui d’un mouchoir et explique que « nous avons la capacité de faire face à à peu près tout virus, nous avons le système de défense pour le combattre. Un capital santé qui s’entretient, en faisant du sport donc en évitant d’être confiné pendant deux mois, en ayant une bonne oxygénation, c’est-à-dire en évitant de mettre des masques [le port prolongé du masque n’empêche pas une bonne oxygénation], en ayant une bonne alimentation, c’est-à-dire en ayant la liberté de sortir acheter tout ce dont on a besoin pour avoir la diversification alimentaire qu’il nous faut. »

En mars 2021, elle manifeste aux côtés de Francis Lalanne à Paris. Deux mois plus tard, en mai, c’est avec Jean-Marie Bigard qu’elle apparaît. L’humoriste qualifie Agnès Buzin, l’ancienne ministre de la Santé, de « grosse connasse », une séquence filmée par les équipes de Quotidien. Alexandra Henrion Caude intervient, lui demandant « de ne pas dire de gros mots. » Pourquoi était-elle là-bas ? Elle se souvient avoir « été invitée [à la manifestation] par  » Ami entends-tu « , un collectif d’artistes qui avait contacté plusieurs scientifiques ». « Vous ne choisissez pas avec qui vous manifestez, poursuit-elle. Vous êtes là pour la cause et uniquement la cause ! »

La défense de l’embryon

En 2011, c’était une autre cause qu’Alexandra Henrion Caude défendait : l’embryon humain. En plein débat sur la loi bioéthique, comme d’autres chercheurs elle s’oppose à la recherche sur des cellules souches issues d’embryons humains.

Elle se dit vigilante sur l’éthique et avait créé au début des années 2010 un site internet, science en conscience. « Je dis toujours à mon équipe que nous devons mener chacune de nos recherches comme si un jour une Cour pénale internationale arrivait et nous évaluait, développe-t-elle. Par exemple, aux Etats-Unis, parce que la législation était différente, nous reversions des bains de radioactivité dans des éviers alors qu’en France, on les versait dans des fûts à part. Il est important de se dire qu’il peut y avoir une conséquence à nos actes. Il me semble important de ne pas faire ce que les chercheurs font actuellement, à savoir d’externaliser la dimension éthique de leurs travaux sur tel ou tel comité extérieur. »

Elle ne prend pas position uniquement sur ce thème. En 2018, elle donne une conférence sur la PMA avec l’association Cosette et Gavroche, qui a été créée « pour lutter contre le projet de loi Taubira sur le mariage pour tous », selon le site internet de cette association.

« Une étiquette qu’on vous colle dans le dos »

Est-ce la foi catholique de cette mère de cinq enfants qui l’a poussée à prendre ces positions sur l’embryon ? « Pour prendre la défense de l’embryon humain, je n’ai absolument pas besoin de ma foi ! », répond-elle à 20 Minutes.

En mai 2021, avant son décès, le généticien Axel Kahn avançait dans les colonnes du Parisien que son ancienne thésarde « articule la réalité autour de sa vérité spirituelle » : « Alexandra est à mon sens un cas unique en son genre, avait alors expliqué celui qui a dirigé la thèse de l’ancienne chercheuse de l’Inserm. Des savants maudits à la belle carrière, qui tout à coup ont une idée et sont incapables de la remettre en cause, il y en a eu beaucoup. Voyez Didier Raoult, ou Luc Montagnier. Mais son cas est différent. Elle articule la réalité autour de sa vérité spirituelle. »

Alexandra Henrion Caude, aujourd’hui âgée de 53 ans, rétorque que ce ne sont pas ses convictions religieuses, « mais ce qu'[elle] analysait par la génétique » qui l’a poussée à prendre ses prises de position contre des vaccins anti-Covid-19.

En octobre 2020 auprès de LCI, Axel Kahn avait parlé d’un positionnement « à la limite d’un engagement religieux et sectaire » de son ancienne étudiante. Celle-ci avait porté plainte en diffamation, avant de la retirer, Axel Kahn étant gravement malade. « Intégriste puis sectaire, je ne sais pas d’où il sort cela, répond Alexandra Henrion Caude. Encore une fois, c’est parole contre parole. Lui a pu s’exprimer, je n’ai pas pu le faire. C’est vraiment pour moi cette histoire de rumeurs :  » y en a qui ont dit qu’elle était intégriste « . Et ça se décline, comment en fait ? Encore une fois, c’est une étiquette qu’on vous colle sur le dos pour vous discréditer, vous faire taire. »

Un laboratoire de recherche à l’île Maurice

Une expérience aurait fait forte impression sur la chercheuse. En 2013, Alexandra Henrion Caude passe un mois aux Etats-Unis en tant que fellow de la fondation Eisenhower. Une distinction, qui ne fait pourtant « pas partie des bourses, des récompenses ou des prix habituels que demandent les chercheurs. C’est très confidentiel », explique une personnalité qui a connu la chercheuse.

Quelques années après son retour, Alexandra Henrion Caude prend la direction de l’île Maurice. En 2016, elle y est annoncée à une table ronde du Women’s Forum, aux côtés d’un chercheur d’une université sud africaine, ainsi que du vice-président de Sanofi chargé de l’accès aux médicaments et d’un responsable d’une initiative du Lancet. Dans une interview à la presse mauritienne en 2018, elle annonce faire partie du Conseil de développement économique de l’île. Elle ne figure pas actuellement parmi les membres du conseil de gouvernance, selon le site du Conseil.

Elle a implanté sur l’île un laboratoire de recherche intitulé SimplissmA. L’objectif est de s’inspirer de « remèdes traditionnels » pour « apporter des solutions de santé simples, durables, éthiques et low-cost aux personnes vivant à Maurice, mais aussi dans le monde entier », expliquait Alexandra Henrion Caude en 2018 au magazine Luxury Mauritius.

Cet institut ne publie pas d’articles scientifiques. Son but est « de partager certaines connaissances au public, pas de m’adresser aux scientifiques », réplique Alexandra Henrion Caude. Une phrase qui entre en résonance avec son parcours depuis la crise du Covid-19.