France

Couronnement de Charles III : Dans cette petite ville anglaise, la fête se fera, mais sans argent public

De notre envoyée spéciale à Axminster,

Il s’approche, un sourire aux lèvres. « Alors, ça vous plaît ? », nous lance-t-il, guettant notre réaction au sujet d’une chaise d’un rouge vif trônant au milieu de cette petite église du sud de l’Angleterre. « C’est une vraie, une de 1969, il n’en existe que 10 ! », ajoute-t-il. L’objet de la fierté de Mervyn Symes est ce siège, qui a servi lorsque le jeune Charles a été fait prince de Galles, en 1969 donc. Mais que fait-il donc dans cette charmante église d’une petite ville de 8.000 habitants dans le sud de l’Angleterre ? « Je l’ai achetée avec ma femme », répond l’ancien maire de la ville.

Un peu plus loin, un homme est occupé à passer l’aspirateur. Des photos de Charles et de Camilla sont disposées un peu partout dans la pimpante église, à côté de créations florales faites pour l’occasion par des retraitées, donnant plus l’occasion d’être dans un confortable salon que dans un lieu de culte. Une autre relique royale, un bout de la tapisserie déployée dans l’abbaye de Westminster lors du couronnement du grand-père de Charles, est exhibée le long d’un pilier. Tout est prêt pour dimanche, quand la maire de la ville, Jill Farrow, et d’autres dignitaires officieront lors d’une cérémonie pour célébrer le sacre du roi Charles III.

Cette chaise rouge a servi lorsque Charles a été proclamé prince de Galles, en 1969. A l'arrière-plan, la tapisserie était dans l'abbaye de Westminster lors du couronnement du grand-père de Charles. Des souvenirs royaux fièrement exhibés dans l'église de cette petite ville du sud de l'Angleterre.
Cette chaise rouge a servi lorsque Charles a été proclamé prince de Galles, en 1969. A l’arrière-plan, la tapisserie était dans l’abbaye de Westminster lors du couronnement du grand-père de Charles. Des souvenirs royaux fièrement exhibés dans l’église de cette petite ville du sud de l’Angleterre. – Mathilde Cousin / 20 Minutes

C’est également devant l’église – si le temps le permet – que doit avoir lieu une fête dimanche à laquelle sont conviés tous les habitants pour commémorer le sacre. L’événement est organisé par le Rotary local, avec le soutien de commerçants, qui ont fabriqué pour l’occasion des bannières qui ornent le centre-ville. Le council local, sollicité, n’a pas débloqué de fonds pour la fête, comme le rapportait en février le site Axminster nub news.

Et c’est une décision rare dans ce coin du royaume, où l’on soutient traditionnellement les habitants de Buckingham Palace et leur turbulente famille. Malgré la crise économique que traverse le Royaume-Uni, de nombreuses autorités locales ont alloué des budgets pour permettre aux habitants d’organiser des fêtes de quartier. Mais pas à Axminster, où le seul soutien public sera un don de 100 livres fait par la maire, Jill Farrow, qui dispose avec ses fonctions d’un petit fonds pour soutenir des causes.

« Notre budget est de 250.000 livres par an et avec cela nous devons nous occuper des deux bâtiments municipaux, dont un historique, du cimetière, d’un parc et de jardins familiaux », détaille Jill Farrow à 20 Minutes. Face à l’inflation qui ronge le Royaume-Uni, la municipalité, qui dispose de pouvoirs moins étendus qu’une municipalité en France, a dû faire des choix. Il n’y a pas que la fête prévue ce week-end qui en a fait les frais. La piscine locale, gérée par une association, n’a pas non plus reçu de subvention.

La plupart des commerçants de la ville ont décoré leurs vitrines.
La plupart des commerçants de la ville ont décoré leurs vitrines. – Mathilde Cousin / 20 Minutes
Le Rotary local organise des festivités dimanche afin de fêter le sacre de Charles III.
Le Rotary local organise des festivités dimanche afin de fêter le sacre de Charles III. – Mathilde Cousin / 20 Minutes

Pas question pour autant de voir dans ce refus de fonds public un acte de défiance envers la monarchie. Ce sont les cordons de la bourse, serrés, qui ont joué. « L’année dernière, pour le jubilé de platine de feu sa majesté la reine, nous avons financé pas mal de choses : nous avons planté des arbres dans le parc du Jubilée, nous avons financé plusieurs événements, rappelle l’élue locale. Mais nous avons eu l’impression que nous n’en avions pas eu pour notre argent, parce que c’étaient les mêmes structures qui demandaient des subventions. Nous avons financé un grand goûter, environ 400 personnes sont venues, mais on n’a pas eu nécessairement l’impression que l’on nourrissait les bonnes personnes. »

A Axminster, où l’âge médian est de 56 ans et où les retraités sont nombreux, la vulnérabilité de la population s’est accrue avec la crise économique. La banque alimentaire locale a lancé un appel sur les réseaux sociaux, car leurs dons ont baissé et les besoins ont augmenté, rappelle la maire. « Nous avons aussi des jeunes familles dont le besoin, car il n’y a pas beaucoup de travail par ici et il est mal payé. »

Jill Farrow, la maire d'Axminster, avec les prix à remporter lors de la loterie organisée lors d'un déjeuner caritatif ce vendredi. Comme toutes les collectivités locales au Royaume-Uni, le council d'Axminster doit arbitrer un budget serré dans un contexte de forte inflation.
Jill Farrow, la maire d’Axminster, avec les prix à remporter lors de la loterie organisée lors d’un déjeuner caritatif ce vendredi. Comme toutes les collectivités locales au Royaume-Uni, le council d’Axminster doit arbitrer un budget serré dans un contexte de forte inflation. – Mathilde Cousin / 20 Minutes

Alors ce vendredi, à la veille du couronnement, Jill Farrow, réélue la veille lors d’élections locales, est venue donner un coup de main à Nourish, une petite structure apportant de l’aide alimentaire aux personnes dans le besoin et portée à bout de bras par deux volontaires, Karen Taylor et Mary Darlow. Aidées de Hailey, une policière chargée du lien avec la population, ainsi que de Shirley et Pat, les femmes ont transformé le Guidhall, le bâtiment municipal qui sert de salle des fêtes et de salle de spectacle. L’Union Jack est partout : sur les serviettes, sur les drapeaux disposés le long des tables. Le thème du déjeuner, vous l’aurez deviné : le couronnement du roi Charles. Sur le buffet sont disposées des spécialités britanniques préparées par les volontaires : tranches de roastbeef, Scotch eggs ou encore des trifles, un dessert à base de fraises, de gelée, de crème anglaise et de crème fraîche.

En échange d’une donation, une soixantaine de personnes se sont donné rendez-vous pour partager le repas. Dont Anne Philipps, une ancienne infirmière qui avait douze ans au moment du couronnement de la reine en 1953. « Mes parents avaient acheté une télévision pour l’occasion. Il pleuvait des cordes ce jour-là, l’écran était brouillé, mais on pouvait tout de même voir la reine. En tant qu’enfants, nous étions heureux. » Heureuse, Anne l’est également lorsqu’elle se lève, son chapeau melon en plastique aux couleurs du drapeau britannique sur la tête, pour aller récupérer son lot gagné à la loterie organisée à la fin du repas.

« Si mes amis écossais savaient que j’organise un repas pour le couronnement du roi, ils se moqueraient de moi », plaisante Karen Taylor, la fondatrice de Nourish. C’est grâce à ces événements et avec d’autres dons que les bénévoles de la structure préparent entre 40 et 100 repas par semaine. Bien qu’indifférente envers la monarchie, et témoin en première ligne de la précarité d’une partie de la population, Karen Taylor ne s’indigne pas des grands moyens déployés à travers le pays pour célébrer le sacre. « Ce qui me dérange le plus, ce sont les politiques qui votent leurs augmentations. Ce sont eux qui ont un impact dans nos vies. » Un sentiment partagé par de nombreux Britanniques.