Coupe du monde 2022 : Alerte greenwashing à Doha, entre spots « Save The Planet » et calculs douteux
De notre envoyé spécial à Doha,
Rares sont les rues qui autorisent une traversée facile des piétons à Doha. Le plus souvent, il faut s’armer de patience, attendre cinq minutes et courir quand le feu passe au vert, car il ne le reste jamais longtemps. Un endroit échappe à cette règle : Msheireb, dans le centre de la capitale. Une zone historique transformée en éco-quartier à l’aune de la Coupe du monde 2022. Le nec plus ultra de la durabilité, certains en parlent même comme de « la ville la plus verte du monde » : le projet de 35 hectares avait reçu le World Architecture Future Prize à sa présentation en 2012.
Il faut dire que Downtown Msheireb coche toutes les cases. Panneaux solaires, rues ombragées, bâtiments de niveau LEED or et platine – une certification assurant que l’entrepreneur et les concepteurs ont fait les efforts nécessaires pour diminuer l’empreinte écologique pendant et après la conception d’une infrastructure. Mais aussi des panneaux solaires, une rue piétonne de 700 mètres, un système d’approvisionnement en eau non potable pour les toilettes ou encore des zones ombragées et quelques arbres pour réguler les températures extrêmes. Une ligne valorisante forcément bienvenue dans un CV surpollué aux pots d’échappements de SUV en liberté trois rues plus loin.
Marcel Desailly en égérie du greenwashing
L’effort reste marginal, car le Qatar demeure le premier pays au monde à « célébrer » son jour du dépassement (le 10 février pour 2022) et n’aura pas su faire taire les critiques avant son Mondial, qu’il promet « neutre en carbone ». Objectif partagé par la FIFA, laquelle s’était engagée, lors de la COP26 en Ecosse, à réduire de moitié ses émissions de CO2 à l’horizon 2030.
« Nous reconnaissons l’importance urgente de respecter les accords de Paris pour accélérer le changement nécessaire afin d’atteindre la neutralité des émissions de gaz à effet de serre sur la seconde moitié du XXIe siècle », déclarait ainsi la secrétaire générale de la FIFA, Fatma Samoura.
Puisqu’il faut agir vite, l’instance suprême du football a sorti les grands moyens : Marcel Desailly en personne. Depuis le début de la Coupe du monde, le champion du monde 1998 donne une leçon de tri sélectif sur les écrans des stades du Qatar. A force, on la connaît par cœur. Ça donne un truc comme : « Mettez tous les déchets recyclables dans la poubelle bleue et le reste dans celle avec une étiquette noire. » Le tout s’inscrit dans une démarche baptisée « Save The Planet ». Un nom un peu prétentieux pour une action résumée à un spot publicitaire, un petit drapeau sur la pelouse en début de match et un brassard vert pour les capitaines (apparemment moins dérangeant que l’arc-en-ciel).
On peut associer cette campagne à une autre promesse de la FIFA lors de la COP26, celle d’« aider à éduquer les fans sur le changement climatique et les encourager à jouer leur rôle dans la protection de la planète et du beau jeu. » A jouer tout court, plutôt. Avant le Mondial, la bande à Infantino a lancé un concours sur le thème de l’engagement des fans, dont la seule condition était de lire « des informations sur le changement climatique » pour ensuite espérer être tiré au sort. A la clé : un voucher de 900 rials qataris (235 euros) à échanger dans les magasins de détail officiels de la FIFA. Une bien curieuse façon d’éveiller les consciences.
Bateaux de croisière à quai en guise d’hôtels
Si les initiatives superflues de la fédé internationale de foot et du Comité suprême d’organisation de la Coupe du monde peuvent faire marrer, elles entrent dans une logique globale de greenwashing, dont le pilier reste cette histoire de neutralité carbone de l’événement.
Selon les calculs de la FIFA, le Mondial 2022 sera responsable de l’émission de 3,6 millions de tonnes de CO2 (MtCO2eq) dans l’atmosphère. Ce qui implique que les organisateurs doivent acheter 3,6 millions de crédits-carbone pour respecter leur engagement. Mais on y reviendra.
Parmi les principales catégories d’émissions de la CDM 2022 on retrouve :
- 51,7 % des émissions provenant des voyages
- 20,1 % de l’hébergement
- 18 % de la construction de sites permanents
- 4,5 % de la construction temporaire
- 1,1 % de la logistique
- 5,7 % restants affectés à la logistique, la nourriture et les boissons.
Les organisateurs se gargarisent par ailleurs de certains avantages que présenterait cette Coupe du monde au Qatar, autosatisfaction résumée en une « sustainability map ». Parmi eux, la proximité entre les stades et l’assurance que les supporters prendront « le métro plutôt que l’avion ». On se ravit effectivement de croiser des supporters de tous horizons dans les rames de Doha, mais on en a tout de même croisé un bon paquet à l’aéroport international.
Faute de place dans le petit émirat, beaucoup de spectateurs crèchent dans les pays voisins et utilisent de fait les transports aériens. Et que dire des moyens artificiels pour créer des surfaces habitables supplémentaires dans la capitale qatarienne, comme les trois bateaux de croisière de 5.000 places qui stationnent à quai dans la baie ?
Le cas du Stade 974
Autre argument avancé pour vanter le caractère durable de la compétition, la seconde vie des stades de la Coupe du monde. Avec en tête, le fameux stade 974, pour les 974 containers qui le composent, démontable et remontable ailleurs. Un exemple a priori vertueux. Mais dans un rapport écrit à la sulfateuse, l’ONG Carbon Market Watch rappelle que « l’empreinte finale associée à la construction du stade 974 dépendra du nombre de fois et de l’endroit où il sera réassemblé. Par exemple, si le stade n’est déplacé qu’une seule fois, et dans un endroit éloigné (>7000 km de transport), alors la construction de deux stades aurait probablement eu un impact moindre. »

Une donnée, nous apprend le rapport, exclue des estimations de la FIFA pour le bilan carbone de sa Coupe du monde. De même que le futur démantèlement et transport des 200.000 sièges permanents et les travaux qui viseront à offrir une seconde vie aux stades (Al Bayt transformé en mall, Lusail en jardins botaniques, etc.). Un exemple parmi tant d’autres qui conduisent les ONG à réestimer le poids réel du Mondial 2022 à 5 à 6 millions de tonnes de CO2.
Les calculs ne sont pas bons, Gianni
La neutralité carbone pose aussi question. D’une, parce que le comité d’organisation de la Coupe du monde a créé son propre organisme d’émission de crédits carbone : le Global Carbon Council (« conseil mondial du carbone », GCC). Ce dernier permet au Qatar d’esquiver les certificateurs reconnus sur les marchés internationaux et, en quelque sorte, de fixer ses règles. Le GCC a pour mission de compenser la moitié des émissions de la CDM 2022, la FIFA l’autre moitié. De deux, s’étonne Carbon Market Watch, « Comment [la FIFA peut-elle avoir déjà fixé ses objectifs pour atteindre la neutralité carbone] étant donné que la compensation des émissions d’un événement ne peut être entièrement réalisée que lorsque l’empreinte réelle de cet événement a été établie? »
Autrement dit, ce calcul ne pouvait avoir lieu qu’après le Mondial. En France, au Royaume-Uni, en Suisse, en Belgique et au Pays-Bas les ONG ont ainsi déposé plainte auprès du Jury de Déontologie Publicitaire pour dénoncer les publicités trompeuses de la FIFA en matière de neutralité carbone.
Une dernière histoire sortie tout droit du four qui ravira les défenseurs de l’environnement. Selon The Times, le Qatar se dit prêt à accueillir les JO 2036. La chaleur ? Même pas peur. L’émirat a déjà une nouvelle idée de génie : climatiser les rues de Doha à l’occasion des épreuves de marathon. Sauf dans les rues de Msheireb, bien sûr. Ça sera toujours ça de gagné.