France

Confinement, trois ans après : Pourquoi l’avion a-t-il retrouvé ses ailes ?

« Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant », promettait le 16 mars 2020 Emmanuel Macron. Le président de la République annonçait alors un confinement total de la population face à la pandémie de Covid-19 et promettait un monde d’après différent du précédent. Que reste-t-il de ces promesses ? Certains métiers, certaines activités sont apparues superflues, peu essentielles pour vivre pendant cette période inédite, comme le fait de voyager, prendre l’avion, surtout quand les frontières d’une majorité de pays du monde étaient fermées.

Trois ans plus tard, le secteur aérien mondial retrouve ses ailes et renoue avec des niveaux qui talonnent ceux de 2019. Pourquoi l’avion reste-t-il, encore aujourd’hui, un moyen de transport autant utilisé ? Les bonnes résolutions de la crise sanitaires ont-elles déjà été abandonnées ? Pourtant Paul Chiambaretto, professeur à la Montpellier Business school et directeur de la chaire Pégase, dédiée à l’économie et au management du transport aérien, remarque que « les gens se sont rendu compte que prendre l’avion n’était pas vital ».

Une reprise du trafic inespérée

Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : en ce début d’année 2023, en France, « le trafic correspond à 91,1 % de celui constaté en janvier 2019 », selon les statistiques du ministère de la Transition écologique. Au niveau mondial, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) estime que le trafic passager va retrouver cette année son activité d’avant la crise sanitaire, avant de dépasser, fin 2023, l’activité de 2019. Seuls les vols domestiques en métropole sont encore un poil à la traîne avec 75,3 % du trafic par rapport à 2019. Il s’agit surtout de vols d’affaire qui ont souffert du développement du télétravail, moins coûteux et plus confortable pour les cadres.

En outre, la proportion des Français qui prennent l’avion est loin d’être majoritaire. Selon une enquête Ifop pour La Fondation Jean Jaurès, publiée en juin 2022, 11 % des Français disent prendre régulièrement l’avion, dont 2 % plusieurs fois par mois et 9 % plusieurs fois par an. Au niveau mondial, seulement cinq nationalités représentent 33 % des passagers, parmi elles, la nationalité française, selon un rapport de l’ONG britannique Possible, publié en mars 2021.

Pour les trajets occasionnels, ce ne sont pas davantage de personnes qui choisissent de voler vers leur destination, ce sont les mêmes passagers qui multiplient leurs déplacements, affirme Pierre Leflaive. Paul Chiambaretto analyse alors cette reprise fulgurante par le manque de voyage subi pendant la pandémie et cette « revanche » sur les mois perdus à ne pas pouvoir « aller plus loin. » « C’est une petite partie de la population qui n’est pas très sensible aux discours » sur l’environnement, analyse Pierre Leflaive, responsable transport au sein du Réseau action climat (RAC). Et d’ajouter : « Ceux qui volent le plus, qui polluent le plus, ne sont pas ceux qui vont subir le plus les conséquences climatiques. »

Un imaginaire du voyage difficile à déconstruire

Pour le militant, si les choses n’ont pas évolué, c’est à cause du secteur qui « n’a pas fait sa mue, il n’y a aucun effort en matière de marketing et publicité ». Pire encore, le responsable transport chez RAC accuse les compagnies aériennes de « greenwashing », technique frauduleuse consistant à communiquer sur une image de marque plus responsable et écologique que la réalité et qui leur permet de continuer à faire voler les passagers en toute bonne conscience.

Il n’y a pas que le monde de l’aérien qui n’a pas saisi l’occasion de changer, tous les acteurs de près ou de loin ont loupé le coche. Parmi eux, la sphère politique. « Rien n’a changé au niveau politique et fiscal », souligne Paul Leflaive qui milite pour taxer le kérosène et dénonce « un statut fiscal d’exception qui encourage l’aérien ». Une idée jugée simpliste par Paul Chiambaretto qui souligne que « cette exemption a été décidée à l’échelle internationale pour éviter une distorsion de concurrence. »

Le problème pourrait être plus profond. « Dans l’imaginaire du voyage, on associe encore l’idée de partir en vacances à l’avion », fait remarquer Alexis Chailloux, chargé de l’engagement citoyen et des voyages durables chez Greenpeace France. Pourtant, trouver de l’exotisme est souvent accessible en train. Sept jeunes (de 18 à 34 ans) sur dix estiment qu’il n’est pas nécessaire de prendre l’avion pour être dépaysé, selon les estimations d’une étude réalisée pour Greenpeace. La responsabilité revient alors en partie à « toutes les personnes qui sont prescripteurs de voyages comme les journalistes, les influenceurs ou même l’industrie culturelle [qui] façonnent une manière de voyager et [qui] pourraient faire évoluer l’imaginaire », développe Alexis Chailloux.

Un monde sans avion est-il souhaitable ?

Même si voyager toujours plus loin au plus fort de la crise sanitaire semblait futile, les avions ont prouvé qu’ils étaient d’une autre utilité. « Il faut se souvenir que sans les avions, on n’aurait pas pu transporter les vaccins à temps par exemple », rappelle Paul Chiambaretto. Pour les militants de défense du climat de RAC et Greenpeace, il faut, pour pouvoir respecter les engagements d’émission de CO2 pris lors de l’accord de Paris, trouver des solutions. Même le patron des Aéroports de Paris (ADP) appelait en septembre dernier sur BFMTV à « être aussi raisonnable que possible dans ses comportements pour la période de transition qui va durer à peu près 20 ou 30 ans ».

Les militants écologistes, de RAC et Greenpeace proposent par exemple une taxe progressive : plus on prend l’avion, plus on sera taxé, afin d’épargner les personnes pour lesquelles ce mode de déplacement reste occasionnel. Le biocarburant fait aussi partie des options, même si pour Pierre Leflaive, cette solution « restera limitée car elle dépend des ressources en biomasse. » Réduire l’activité aérienne reste une nécessité pour les militants écologistes. « On n’a pas le choix il faut réduire le trafic aérien, insiste Pierre Leflaive. Reste à savoir quel est le bon niveau de réduction des vols, choisir par exemple qui vole et pourquoi. »

Mais une réduction du trafic aérien français servirait-elle vraiment à quelque chose ? Les vols en avion ne représentent 2,4 % des émissions de CO2 mondiales et ont « contribué pour 5,9 % au réchauffement » global de la planète en 2018, selon les calculs du réseau Stayground. Et la France n’apparaît pas dans la liste des dix pays les plus pollueurs en CO2 dominée en 2021, selon les chiffres de la Commission européenne et les calculs de Statista, par la Chine, les Etats-Unis et l’Inde. Et Paul Chiambaretto de pointer : « Si on régule en France pour faire baisser nos émissions de CO2, mais qu’en parallèle il ne se passe rien ailleurs, en Chine ou en Inde, ça ne changera rien à l’impact environnemental mondial. » Le professeur à la Montpellier business school milite alors pour une stratégie d’incitation plutôt que de taxe, et pour une solution mondiale. Est-elle seulement vraisemblable ?