France

Confinement, trois ans après : Les Français ont-ils raté le coche du « mieux manger » ?

Lorsqu’au soir du 16 mars 2020, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’un premier confinement contre le Covid-19, nombre de Français ont vu en cette parenthèse une opportunité de passer à un « monde d’après ». Pour beaucoup, cela devait passer par une cuisine plus locale, plus bio, plus saine, plus « faite maison », en se faisant plus plaisir… Trois ans plus tard, les Français ont retrouvé le cours de leurs vies, et leurs vieilles habitudes, à quelques points près.

Premier constat, pas de doute, les Français restent Français : « Le plaisir a toujours été leur première préoccupation associée à l’alimentation, que ce soit avant ou après le Covid-19 », explique à 20 Minutes Laurence David, Déléguée Générale de la fondation Nestlé, qui a publié en février la troisième édition de l’Observatoire Alimentation & Familles de la fondation. Cependant, l’importance du plaisir est en légère baisse depuis l’arrivée du coronavirus : « 58 % des Français le citaient comme préoccupation première en 2019, contre 50 % en 2022 », relève Laurence David. D’un autre côté, la question de la santé occupe beaucoup plus les esprits et les estomacs. Une « conséquence directe de la crise sanitaire ».

Le « fait maison » fait grise mine

Or, quoi de mieux pour la santé que du « fait maison ». Malheureusement, d’après un webinaire de l’institut Nielsen dédié à l’analyse des consommations des Français en 2022, malgré un essor pendant le Covid-19, le « fait maison » est aujourd’hui en recul. Ainsi les Français « mangent plus de fruits et de légumes transformés qu’avant, comme des compotes ou des soupes », note Florence Thorez, diététicienne nutritionniste à Paris et membre de l’Association Française des Diététiciens Nutritionnistes (AFDN). « C’est mieux que de manger un gâteau, certes, mais une compote contient moins de fibres qu’une vraie pomme », regrette la nutritionniste.

L’institut Nielsen constate ce phénomène dans les types d’achats des consommateurs en grande surface : plus de plats déjà préparés et moins d’ingrédients pour cuisiner. Face au retour des plats préparés, certains évoquent un manque de temps pour se faire à manger. « En 2022, la notion de facilité et de rapidité revient dans le top 3 des préoccupations des Français associées à l’alimentation en semaine », ajoute Laurence David. Et, justement, rapidité et facilité sont les arguments vente des plates-formes de livraison, qui ont également profité du développement du télétravail.

Le boom de la livraison

« D’un côté, il y a les télétravailleurs qui sont contents et qui cuisinent. D’un autre, il y a ceux qui se font livrer ou qui mangent rapidement des plats préparés. Et ils sont beaucoup dans ce deuxième cas de figure », commente Florence Thorez. Et malheureusement, les plats livrés ou préparés ne sont généralement pas synonymes d’une alimentation saine. « Les livraisons de repas sont en boom, avec des parts de féculents énormes et des parts de protéines très faibles. Ce ne sont que des pâtes, du riz et des glucides », soutient la diététicienne.

De facto, comme nous le confie Bastien Pahus, manager général d’Uber Eats France, Suisse et Belgique, « le top 3 national des plats les plus commandés sont les burgers, les pizzas et les sushis. Dans le top 10 national, nous retrouvons le poke bowl, de la cuisine asiatique, du poulet frit/grillé, la cuisine libanaise, la cuisine mexicaine ». Une cuisine riche en apports nutritifs. Et cette hausse du recours aux livraisons décrite par Florence Thorez est également constatée du côté d’Uber Eats : « Notre activité en France a triplé entre le premier trimestre 2020 et le quatrième trimestre 2021, soit en deux ans », souligne Bastien Pahus. Et la livraison ne concerne pas que les travailleurs, mais aussi les familles : un tiers des plats livrés à domicile ont été commandés par des familles, indique début 2022 le cabinet d’étude NPD.

L’insécurité alimentaire présente plus que jamais

Mais si les Français ont tendance à plus se faire livrer et à moins faire maison, quand ils cuisinent, ils tiennent à utiliser des produits locaux. En 2022, selon une étude Bienvenue à la ferme et Ipsos, « 80 % des consommateurs disent acheter désormais des produits » de proximité, « une tendance qui progresse (69 % des acheteurs de produits locaux déclarent en acheter actuellement plus qu’avant) et qui devrait continuer à se renforcer (59 % disent qu’ils vont en acheter plus dans les 6 prochains mois) »

Cependant, cette hausse des achats d’aliments locaux n’est malheureusement pas synonyme d’attractivité du bio. En réalité, les ventes du secteur sont en régression depuis deux ans, dont une baisse de ventes en volume de 7,4 % en grande distribution rien qu’en 2022, selon le cabinet d’étude NielsenIQ. Les produits bios sont aussi « en moyenne 30 % plus chers », note le cabinet. « Je choisis du bio pour certains produits, mais je ne peux pas me le permettre pour tout », confirmait Cécile, une lectrice de 20 Minutes.

Car oui, en trois ans, un autre élément est aussi venu chambouler le quotidien des ménages français : la hausse des prix. Or, « c’est dur d’inciter les gens qui ont peu d’argent à manger plus équilibré », dit Florence Thorez.

Car, la priorité pour certains n’est pas le « mieux manger » mais le « manger ». En novembre dernier, les associations d’aide alimentaire tiraient la sonnette d’alarme. Rien qu’entre avril et novembre dernier, le nombre de bénéficiaires des Restos du Cœur avait bondi de 12 % et 60 % d’entre eux vivent dans l’« extrême pauvreté », contre 50 % un an plus tôt.

De plus, plus d’un tiers des bénéficiaires des Banques alimentaires en 2022 « ont recours à l’aide alimentaire depuis de moins de 6 mois » et près de six bénéficiaires sur dix viennent solliciter cette aide une à deux fois par semaine, une hausse de 6 % par rapport à 2020, apprend-on dans une étude sortie le 27 février, réalisée par l’institut CSA. Et, selon la même étude, en raison d’une succession de crises (dont celle de la Covid-19), les Banques Alimentaires, qui accueillaient 820.000 bénéficiaires en 2011, doivent à présent s’occuper de 2,4 millions personnes, soit trois fois plus de personnes en dix ans.