France

Confinement, trois ans après : Les 18-30 ans vont mal et se réfugient dans le « chat-livre-tisane »

La révolution par le tricot. Après trois années passées à vivre des crises (sanitaire, climatique, inflationniste, ukrainienne et sociale), on aurait pu penser que les 18-30 ans auraient brûlé la vie par les deux bouts. Façon aquoibonistes heureux, pas façon Amy Winehouse. La dernière étude #MoiJeune menée en partenariat avec OpinionWay vient contredire ce que l’on aurait aimé lire : presque trois ans après le premier confinement, les jeunes ne sont pas joyeux. Dans le « monde d’après », tant vanté par Emmanuel Macron le soir du 16 mars 2020, 78 % d’entre eux évaluent l’état de santé mentale de leur génération comme « pas bon ».

En octobre 2022, la cellule #MoiJeune de 20 Minutes a démarré une série d’enquêtes afin de prendre le selfie de cette génération à la sortie de la crise sanitaire liée au Covid-19. « Afin de savoir pourquoi cette tranche d’âge a été plus touchée que d’autres », explique Katja Tochtermann, directrice marketing et études de votre site Internet préféré. 20 Minutes leur a, entre autres, posé cette question : « donnez nous trois adjectifs pour qualifier votre génération ? » « Et les réponses sont assez dark, précise Katja Tochtermann. On a les mots  »perdus, fatigués, déprimés, sacrifiés, désabusés », etc. A la rigueur, le seul mot positif pourrait être  »connectés ». » Sauf que ces 18-30 ans, pluggés aux écrans, se prennent de plein fouet l’ensemble des infos qui ne donnent pas vraiment envie de « fêter ça » autour d’un apéro.

Le combo chat-livre-tisane pour échapper à l’inquiétude

Et voilà pourquoi on vous parlait tricot. Parce que les 18-30 ans qui en ont ras la casquette du monde menaçant, parce que les jeunes « qu’on bassine avec tout un lot d’incertitudes baignant dans un climat social morose » ont choisi la maison, note Eléonore Quarré, directrice conseil (pôle opinion) chez OpinionWay. Le combo chat qui ronronne-livre-tisane pour échapper à l’inquiétude. « Face aux crises, ce qui est rassurant c’est ce qui se passe dans le foyer, dans la sphère de l’intime. On sait qu’il y a là moins de place laissée au hasard. On y a les petits plaisirs de la vie : se retrouver autour d’une table, manger de bonnes choses », notre experte OpinionWay qui évoque la confirmation d’une tendance « Slow life ». « Prendre du temps calme, rien que pour soi, sans rien faire de particulier », 42 % des 18-30 ans déclarent le faire plus qu’avant le Covid-19. Ils sont 38 % à moins sortir en soirée, 33 % à moins voir de spectacles, à aller au cinéma. On remarque surtout un besoin de créer « une bulle positive ». Une priorisation importante alors que 71 % considèrent que la vie en couple est un idéal.

Les projets retardés par la crise sanitaire liée au Covid-19.
Les projets retardés par la crise sanitaire liée au Covid-19. – 20 Minutes – MoiJeune

Après quatre confinements où chacun exprimait ses envies de peau, de corps et d’amour… les jeunes auraient donc choisi le couple (notez la déception), « la norme ». Le tricot, on vous dit. « Entre ses 18 et ses 30 ans, on passe beaucoup d’étapes de vie. On est dans la construction identitaire. On finit ses études, on fait peut-être un grand voyage, on achète parfois son premier appart, etc. Autant de projets que le Covid-19 a retardé », analyse Katja Tochtermann. En chiffres, cela se traduit comme suit : le premier grand voyage a été retardé pour 27 % des 18-30 ans, le premier emploi pour 21 % d’entre eux, le premier achat de logement pour 20 %, l’installation en couple pour 15 % et le projet d’enfant pour 10 %.

« On est loin de la jeunesse de 1980 qui pensait pognon et carrière »

Ceux qui ont loupé le coche de la voie dite « classique » auraient alors sauté l’étape « aventures et insouciance ». Exit le binge-drinking qui fait oublier que la Terre brûle, bonjour « ce côté cocon qui préserve de la violence du monde extérieur », dixit Eléonore Quarré. « Ils ont besoin d’être rassurés. On est loin de la jeunesse des années 1980 qui pensait pognon et carrière. Eux, ce qu’ils veulent pour leur avenir, c’est la santé, pas de difficultés financières, fonder une famille, avoir des enfants », abonde Katja Tochtermann.

Rappelons-nous qu’au déconfinement, il y avait deux équipes : celle qui voulait aller rapidos au bar et celle qui, vigilante, n’a pas voulu s’emballer, redoutant une nouvelle déception. C’est cette dernière qui a gagné. Certes, des jeunes se sont réorientés (un changement d’emploi pour 27 % d’entre eux, une reconversion pour 23 %). D’autres ont tout de même joué les Romain Duris à l’étranger. Reste que certains veillent aujourd’hui à ce que « l’entreprise n’empiète pas trop sur leur vie perso qui compte avant tout », note encore OpinionWay. Ainsi, seuls 11 % des 18-30 ans pensent trouver le sens de leur vie dans le travail et 73 % assurent « faire des économies sur les loisirs afin de préparer l’avenir ».

Ce qui rend heureux les 18-30 ans... les animaux, apparemment.
Ce qui rend heureux les 18-30 ans… les animaux, apparemment. – 20 Minutes – MoiJeune
Bon apparemment faire carrière ou avoir de l'argent, c'est pas vraiment 2023.
Bon apparemment faire carrière ou avoir de l’argent, c’est pas vraiment 2023. – 20 Minutes – MoiJeune

Fini le carpe diem sur le sac à dos, la grande tendance est « de voir les jeunes faire des loisirs de vieux, qui se passionnent pour le scrabble ou les puzzles, ajoute Eléonore Quarré. C’est un vrai recentrage symptomatique des périodes de crise : cette méfiance envers tout implique un véritable repli sur soi. » Un repli encouragé par le tout écran. Si fort heureusement, ils ont dit « bye-bye » aux apéros zoom du confinement, les Français (la jeunesse avant tout) ont gardé le télétravail « qui ne leur donne pas envie de ressortir le soir », les réunions en distanciel qui « empêchent le lien social », les soirées Netflix ou encore la livraison à domicile. Autrement dit, cette « flemme », lâche Eléonore Quarré qui veut que faire « des jeux de société à domicile est plus enrichissant que de se prendre cuite sur cuite ».

« Des pertes indéniables d’un point de vue social »

Citons ici une étude plus ancienne 20 Minutes et OpinionWay. Sur l’échelle du cool, vous mettriez combien à l’alcool ? Eh bien, s’agissant du trio « sexe, drogue et rock’n’roll », il paraîtrait que ce ne serait plus « ce à quoi les jeunes aspirent aujourd’hui », note en souriant Eléonore Quarré. L’experte évoque alors « une neutralité de rapport au monde qui peut être troublante », quand Katja Tochtermann parle d’un « désengagement, une désillusion ». Face au monde qui explose, nos 18-30 ans auraient donc lâché l’affaire, montrant au collectif que leur révolution passe par la « slow life », le mieux consommé et la santé en premier.

Bref, trois ans après ce 16 mars qui a fait basculer la France dans le confinement, « on note chez les 18-30 des bénéfices d’enrichissement personnels mais des pertes d’un point de vue social qui sont indéniables », résume Eléonore Quarré. La jeunesse va mal et « il y a une forme de polarisation avec, d’un côté, des jeunes très  »plan plan à la maison » et, de l’autre, celle qui plonge dans une détresse mentale très inquiétante ».

C’est elle qui, post Covid-19, consommait déjà des anxiolytiques ou des drogues et qui en consomme encore plus aujourd’hui. « Ils ne sont que très peu nombreux, mais l’urgence est forte. D’où la mise en place de réformes, certes encore inabouties, comme le remboursement de consultations psy. Elles ont eu toutefois le mérite de dire  »on sait que vous allez mal » ». Avaient-ils besoin de nous pour le savoir ? Spoiler, non. 31 % des 18-30 ans pensent qu’être jeune en 2023 est bien plus difficile qu’il y a trois ans ou cinq ans.

Envie de participer au projet « #MoiJeune » ? Si vous avez entre 18 et 30 ans, vous pouvez participer au projet « #MoiJeune », une série d’enquêtes lancée par 20 Minutes avec OpinionWay, en vous inscrivant ICI.