France

Condamnation de Nicolas Sarkozy : Pourquoi l’ancien président risque de perdre sa Légion d’Honneur ?

«Honneur et patrie. » La devise de la Légion d’Honneur est parfois bafouée par ceux que la décoration distingue. Mercredi, Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné à un an de prison ferme, après le rejet de son pourvoi en Cour de cassation dans l’affaire des écoutes. Une peine qui entraîne quasi automatiquement le retrait de la distinction.

Mais les sanctions restent opaques, au sein de cet ordre qui compte pas moins de 79.000 membres. Des noms sulfureux, plus ou moins anciens, y restent attachés, comme Gérard Depardieu, Patrick Poivre d’Arvor ou Franco. De quoi semer les critiques sur une décoration aux accents parfois très politiques. Alors comment obtient-on la Légion d’Honneur ? Qui en a déjà été déchu ? Nicolas Sarkozy peut-il conserver sa distinction ? 20 Minutes fait le point avec l’historien Fabrice d’Almeida.

Qui obtient la Légion d’Honneur ?

Dès sa création en 1802, Napoléon veut un ordre pour récompenser « un service exceptionnel rendu à la Nation », et qui n’est « pas réservé aux militaires », pointe Fabrice d’Almeida. Après les périodes troubles de la Révolution, il s’agissait alors « de créer une nouvelle chevalerie » fondée sur une conduite exemplaire, selon la société du XIXe siècle. En 1962, le général de Gaulle, lui-même déchu lors de sa condamnation par le régime de Vichy, « refond les ordres et redéfinit les conditions d’attributions », afin de limiter le nombre de légionnaires.

Aujourd’hui, il demeure « des modalités quasiment automatiques pour certaines fonctions, notamment dans l’armée ». Ainsi en 2023, sur les 1.858 personnes décorées, près des deux tiers étaient des militaires. Les autres nominations dépendent de demandes motivées, et de la discrétion du chef de l’Etat. Sportifs médaillés, scientifiques récompensés, mais aussi membres de gouvernements étrangers pour faire un peu de diplomatie, l’éventail est large.

En 2017, Emmanuel Macron avait pourtant annoncé vouloir réduire la voilure sur les distinctions, afin de « revaloriser » la Légion d’Honneur. Surtout que les bonnes intentions du début de mandat ont été balayées, en 2020, par la décoration en catimini du président égyptien al-Sissi. Celui-ci fait pourtant l’objet au même moment d’une forte contestation populaire, et jette ses opposants en prison où des ONG documentent des actes de torture. La « realpolitik » à la française passe avant ces considérations.

Comment une Légion d’Honneur peut-elle se retirer ?

Pourtant, le conseil de l’ordre est saisi sur d’autres sujets. A la demande d’Emmanuel Macron, les rubans d’Harvey Weinstein, emporté par la vague #MeToo, et de Bachar al-Assad sont remis sur le gril. Le dictateur syrien rendra d’ailleurs lui-même son ruban avant la sanction. « Il faut que le grand conseil se saisisse, il n’y a pas d’automaticité pour beaucoup de points », souligne Fabrice d’Almeida. C’est au grand chancelier de saisir le conseil, qui après délibération rend un avis au président de la République. « En tant que grand maître, l’ordre est sous son influence », fait remarquer Fabrice d’Almeida. La sanction est ensuite publiée au Journal officiel, mais anonymisée.

Plusieurs sanctions sont possibles pour tout « acte contraire à l’honneur », avec un seul cas automatique : si le légionnaire est « condamné pour crime ou pour une peine de prison sans sursis égale ou supérieure à un an », une case que coche Nicolas Sarkozy. « C’est le seul chef d’Etat français qui serait déchu depuis Philippe Pétain », observe l’historien. Une comparaison abrupte, mais parmi les dégradés, Nicolas Sarkozy peut aussi compter ses anciens proches Claude Guéant et Patrick Balkany, ou encore le cycliste Lance Armstrong. En revanche, depuis une discrète réforme en 2018, « aucune action disciplinaire ne peut être poursuivie ou engagée contre une personne décédée », indique le Code de la Légion d’Honneur. Franco restera donc à jamais Commandeur de la Légion d’Honneur.

Nicolas Sarkozy, Gérard Depardieu… Emmanuel Macron peut-il épargner certaines personnes ?

Selon le Code de la Légion d’Honneur, la dégradation de Nicolas Sarkozy paraît donc impossible à éviter. « En tant qu’ancien président, il semble même encore plus compliqué de le maintenir à la plus haute dignité », pointe Fabrice d’Almeida. Soulever la question de sa Légion d’Honneur dès le lendemain de sa condamnation est d’ailleurs « significatif de l’exigence d’exemplarité des élus », estime l’historien.

Tout savoir sur le procès de Nicolas Sarkozy

Malgré sa proximité avec Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron ne pourra donc pas fermer les yeux. Récemment, le chef de l’Etat avait défendu que « la Légion d’honneur n’est pas là pour faire de la morale », alors que des voix s’élèvent pour retirer la Légion d’Honneur à Gérard Depardieu et Patrick Poivre d’Arvor, tous deux accusés de violences sexuelles par plusieurs femmes. Pourtant, le Code prévoit bien des sanctions possibles pour tout « acte contraire à l’honneur ». « Il faut quand même une sanction formelle », relativise Fabrice d’Almeida. « Au XIXe siècle, le seul fait d’être accusé serait attentatoire à l’honneur, mais on est dans une société plus judiciarisée », avance-t-il. A l’heure du verdict historique du procès des viols de Mazan, il faut toutefois rappeler que les violences sexistes et sexuelles restent très peu sanctionnées. L’honneur et la justice ne vont pas toujours de pair.