Comprendre, sans excuser : un psychiatre face aux patients à risque.
L’UMD de Montfavet, à Avignon, est un service psychiatrique spécialisé dans la prise en charge des patients considérés comme « les plus dangereux du pays » selon Laurent Layet, psychiatre ayant travaillé dans cette unité depuis 2003. Selon le médecin, « à peine 1 % va commettre des passages à l’acte » parmi les personnes souffrant de schizophrénie.
Unités pour malades difficiles. UMD. Trois lettres qui désignent un service psychiatrique prenant en charge « les patients les plus dangereux du pays, les plus abîmés aussi », explique Laurent Layet. Ce psychiatre a travaillé pendant quinze ans à l’UMD de Montfavet, à Avignon. Dans son livre Au pays des ombres. Voyage au cœur de la folie (Mareuil Editions), publié jeudi dernier, le médecin évoque son quotidien auprès de ces « hommes en lutte contre eux-mêmes et contre le monde entier ».
Certains patients ont été placés dans ces unités ultra-sécurisées après avoir commis un crime ou un délit, qu’ils aient été jugés irresponsables pénalement ou non. C’est le cas d’Andy, un adolescent ayant tué par balles ses deux parents et ses frères jumeaux. Ou de Monsieur G., qui a découpé son père en morceaux avant d’appeler lui-même la police. D’autres n’ont aucun antécédent judiciaire, mais leur état psychiatrique les rend violents envers les autres ou eux-mêmes. Comment prendre en charge et aider ces patients complexes ? Et comment éviter qu’ils ne récidivent ? 20 Minutes a rencontré Laurent Layet pour lui poser la question.

« Rien dans les manuels n’explique comment aborder ce type de souffrance »
C’est lors des gardes durant son internat en hôpital psychiatrique que l’étudiant a découvert l’UMD. « Comme beaucoup, j’étais fasciné par cet univers », admet le médecin, qui dépeint un environnement quasi carcéral. De lourds verrous, des tables vissées au sol, une télévision encastrée dans un caisson blindé.
Quand il obtient un poste à l’UMD de Montfavet en 2003, Laurent Layet se retrouve devant des hommes « arrivant hagards, parfois enragés, parfois brisés ». « Rien dans les manuels n’explique comment aborder ce type de souffrance, confie-t-il. À l’université, on nous apprend à repérer les signes d’une dépression ou d’une psychose. Mais que répondre à un homme qui m’explique qu’il n’a pas dépecé son père mais qu’il l’a démembré ? Il faut être capable d’accueillir cette parole et d’en faire quelque chose. »
« Il ne s’agit pas d’excuser mais de comprendre »
Monsieur D, Zino, Andy… À travers les pages de son livre, le psychiatre retrace les trajectoires de ces patients « aux existences fracassées » et aux « esprits en lambeau ». « Dans 99 % des cas, une personne souffrant d’une schizophrénie est une victime de la société. C’est quelqu’un qui est isolé, qui vit en dehors du seuil de pauvreté, qui doit gérer ses troubles. » Le médecin précise qu’« à peine 1 % va commettre des passages à l’acte. » « Vous avez plus de chances de mourir foudroyé que tué par un schizophrène. Cela rassure que l’on dise que les actes fous sont commis par des fous, mais c’est faux. »
Au fil des mois, le psychiatre établit une « méthode faite de calme, de lenteur, de respect ». « Il ne s’agit pas d’excuser, ni de juger, mais de comprendre. » Le médecin voit ses patients toutes les semaines dans son bureau, sur une période de plusieurs mois, plusieurs années, voire davantage. « Un des gros atouts de l’UMD est que l’on a du temps, des traitements médicamenteux adaptés et du personnel formé. »
La peur des soignants face aux attaques
Pour le médecin, le travail d’équipe est essentiel. « Tous les membres du personnel, à chaque niveau, peuvent détecter des signes révélateurs de l’état du patient. Même la femme qui fait le ménage, ne serait-ce qu’en observant l’état de la chambre, peut nous aider. Selon moi, cette connaissance clinique est la meilleure façon d’anticiper et donc de se protéger contre une agitation. »
Si ces tensions ne sont pas gérées à temps, elles peuvent conduire à des agressions de soignants. Lorsque Laurent Layet est devenu chef de pôle de l’UMD de Montfavet et a voulu fournir des couverts aux patients (« ils devaient manger un steak à la petite cuillère… ») « pour qu’ils retrouvent un peu de dignité », il a rencontré de la résistance. Des cadres de santé l’ont menacé de faire valoir leur droit de retrait car cette décision mettait en danger les équipes. « Je pense que pendant un temps, j’ai été la personne la plus détestée du pôle. Mais cela m’a aidé à comprendre qu’il fallait aussi rassurer les soignants, ne pas simplement imposer des décisions mais être là, à leurs côtés, pour les assumer. »
Si certains patients restent des dizaines d’années dans ces unités, d’autres réussissent à se réinsérer. C’est le cas d’Andy, l’adolescent ayant tué toute sa famille, suivi pendant plus de sept ans par le psychiatre. « Tout le monde lui prédisait un horrible avenir. Je l’ai vu évoluer et aujourd’hui, il est ingénieur dans une grande institution. »
Si le docteur Layet a quitté ses fonctions au sein de l’UMD en 2018, notamment en raison de la « dégradation des soins », il s’occupe désormais, en plus de ses fonctions d’expert judiciaire, d’enfants et d’adolescents au sein d’un CMPP*. Une manière de prendre en charge cette souffrance le plus tôt possible.
* Centre médico-psycho-pédagogique

