France

Complotisme : Les jeunes ne sont pas si dupes qu’on veut bien le croire

Fainéants, immatures, irrespectueux, naïfs… Les termes employés pour désigner les jeunes sont souvent peu flatteurs. C’est bien rentré dans la tête des adultes : les « djeuns » partagent tout et n’importe quoi sur leurs réseaux sociaux et ne vérifient rien. De nombreuses études se plaisent d’ailleurs à décrire les jeunes générations comme plus susceptibles de croire à toutes les fausses informations qui circulent. Ou même à adhérer à de nombreuses théories, comme celle des platistes, à l’image d’une enquête commandée par l’Ifop et publiée en ce début d’année 2023.

Pourtant, « on ne peut pas dire que tous les jeunes sont crédules, affirme Marie Peltier, spécialiste du complotisme. C’est vraiment une idée reçue, un cliché de se dire que le complotisme, c’est un truc de jeunes. »

Toutes les générations sont touchées. Et pour cause, la manière de s’informer n’est plus la même qu’il y a vingt ou trente ans avec la presse papier ou les journaux télévisés. Aujourd’hui, tout est disponible sur téléphone, tablette ou ordinateur et en quelques clics, toutes les informations apparaissent sous nos yeux. Et parfois même, sans rien demander parmi les suggestions ou les partages de nos amis.

De meilleurs réflexes que les adultes

« Les plus de 50 ans, qui ne sont pas nés avec Internet, n’ont pas les codes pour l’utiliser », ajoute Marie Peltier. Ce n’est donc pas évident pour eux de desceller le vrai du faux. Par exemple, qui n’a jamais vu un parent ou un oncle partager un montage absurde sur sa page Facebook ?

A l’inverse, la spécialiste constate que les jeunes d’aujourd’hui sont « beaucoup mieux formés qu’il y a dix ans. Ils ont des réflexes qu’il n’y avait pas avant ». Laurence Corroy, chercheuse en éducation aux médias ajoute même qu’ils « repèrent et pistent mieux les fake news que toutes les autres générations ».

Pour Anton, élève de 3ᵉ dans le Morbihan, le réflexe pour ne pas tomber dans les pièges c’est de vérifier les informations sur lesquelles il doute en parcourant les médias reconnus. La pratique est la même chez Joséphine, élève de 3ᵉ dans le Val-de-Marne. « Il m’est déjà arrivé de tomber sur des informations pour lesquelles je me suis demandé si c‘était vrai. Je suis donc allée vérifier sur des sites comme lemonde.fr ou franceinfo.fr », précise-t-elle. Du côté de Marine, élève du même niveau dans les Yvelines, c’est la répétition qui fait la fiabilité : « Si je vois plusieurs fois la même information dans différents médias, donc de sources différentes, je vais faire davantage confiance. »

Le rôle clé de l’éducation aux médias

Ces élèves interrogés par 20 Minutes trouveraient d’ailleurs « très utile » de pouvoir bénéficier de cours d’éducation aux médias dès le collège. « C’est à ces âges que les habitudes se prennent, il ne faut pas louper le coche ! », note Jeannette Laquerre, journaliste à Okapi, qui s’adresse aux adolescents de 10 à 15 ans. Le média accueille régulièrement des classes afin de leur « ouvrir les yeux sur les coulisses » de l’information. Alexis, autre élève de 3ᵉ dans le Haut-Rhin a, lui, bénéficié de plusieurs interventions d’éducation aux médias. Il affirme avoir « gagné en réflexes au fil des années ». A l’inverse, Anton se compare avec son petit frère, âgé de 10 ans, « qui raconte pas mal de fausses informations ».

C’est également ce que Mathieu Cassotti, chercheur en psychologie du développement, constate : « En 6ᵉ, par exemple, ils sont incapables de distinguer le vrai du faux. Ils deviennent meilleurs à la fin du collège. » En menant son étude directement dans les écoles, le chercheur s’est rendu compte que lorsqu’on cache la source, il devient impossible pour les jeunes de savoir si quelque chose est exact ou non. C’est également le cas lorsqu’on associe une information à une autre source. « On peut fréquemment voir des montages de pages de journaux comme Le Monde ou de journaux télévisés comme BFMTV », souligne-t-il.

Des détecteurs de vérité sur l’écologie

Il convient donc, pour toutes les générations, de développer un esprit critique. « L’éducation aux médias doit avoir pour but de faire comprendre qu’il y a une hiérarchie dans les sources. Toutes ne se valent pas, la méfiance doit s’adapter », explique Laurence Corroy. Pour la chercheuse, il faut développer, autant chez les jeunes que chez les adultes, trois capacités : le sens de l’impossible, la discrimination des sources, la hiérarchie. Ainsi, tous seront capables de douter d’une information – quand il le faut.

Finalement, ce qui revient le plus chez les trois chercheurs interrogés par 20 Minutes, c’est la capacité de réflexion. Plutôt que de catégoriser le vrai et le faux, ce qu’il faudrait « c’est plutôt se demander quel discours on tolère, et lequel on ne tolère pas. De se questionner sur comment on se positionne par rapport à une info », préconise Marie Peltier. Elle prend l’exemple de l’invasion du Capitole, comme ça a été le cas le 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump. « Dans ce cas, un discours qui dit qu’il faut envahir le capitole est acceptable ou non ? »

Pour éviter les pièges, une connaissance sur le monde qui nous entoure est également nécessaire. C’est pour cela que les jeunes, ayant moins de bagages, ne partagent pas les mêmes fake news que les adultes, qui ont l’expérience de la vie. Et inversement avec Internet et des réseaux sociaux. « Des journalistes à l’international ont cru sérieusement des articles du Gorafi. Cela montre bien qu’il s’agit d’une question de degré de compréhension d’un contexte social », avance Laurence Corroy.

D’ailleurs, cette dernière et son confrère Mathieu Cassotti s’accordent tous deux sur le fait que les jeunes sont particulièrement doués, « même plus que les adultes » pour repérer les fake news sur le thème de l’environnement et de l’écologie. Sujets qu’ils maîtrisent et qui les intéresse, comme constaté lors de l’élection présidentielle de 2022 durant laquelle ce thème était leur première préoccupation.

La famille : première sphère d’influence

En aidant les jeunes à gagner en esprit critique et en développant leur méfiance, il faut faire attention à ne pas « introduire un doute excessif, ce qui génère une forme de conspirationnisme », explique Mathieu Cassotti. Bien qu’Anatole France disait : « Doutons même du doute », il y a une certaine limite à conserver, sous peine de devenir complètement complotiste.

Mais dans l’adhésion aux théories du complot, bien que l’école ait un rôle à jouer, elle n’a pas tous les pouvoirs. Avec le contexte de défiance envers les institutions, il y a une certaine méfiance par rapport à ce que peuvent dire les professeurs et formateurs. De plus, « les principales sources d’influence sont les parents », note Marie Peltier. Lorsqu’un jeune est bercé, depuis tout petit, dans les théories plus farfelues les unes que les autres, il est compliqué de tout remettre en question. D’où l’importante d’éduquer également les parents à l’information. La question vaccinale a été un excellent exemple de ce phénomène.